Bâtir des opportunités à Madagascar, un microcrédit à la fois
Ou comment le microcrédit améliore les moyens de subsistance des entrepreneurs et de leurs familles


Située au large de la côte sud-est de l'Afrique, Madagascar compte plus de 30 millions d'habitants et abrite une faune unique avec de nombreuses espèces endémiques.
La capitale, Antananarivo – ou Tana pour les intimes – incarne la vitalité et les contrastes du pays. Nichée au cœur des hauts plateaux de Madagascar, elle est une ville bouillonnante, entourée des douze collines sacrées de l'Imerina.
Les Hautes Terres qui l’entourent sont le grenier du pays : champs maraîchers, rizières et petits élevages parsèment les paysages. Mais la région n’est pas seulement agricole, l’artisanat s’y est développé par tradition ancestrale et nombreux sont les hommes et les femmes de Tana et des hauts plateaux qui vivent du travail du bois et de l’aluminium, du tissage du raphia ou de la broderie.
Si les ressources naturelles sont abondantes à Madagascar, le pays est marqué par une croissance économique inégale et une pauvreté persistante : plus de 80 % de la population vit avec moins de 2,15 dollars par jour. L’accès au financement reste difficile, ce qui restreint les possibilités des petites entreprises et des personnes qui les dirigent.
La microfinance se présente alors comme une solution essentielle, offrant aux entrepreneurs avec peu ou pas de garanties ou d'antécédents bancaires l’accès au financement dont ils ont besoin pour démarrer ou développer des activités génératrices de revenus, améliorant ainsi leur qualité de vie ainsi que celle de leurs familles.
En 2021, IFC, avec le soutien des mécanismes de financements mixtes et en monnaie nationale du Guichet de promotion du secteur privé de l’Association internationale de développement (IDA), a lancé la plateforme « Base de la Pyramide ».
Ce mécanisme de financement vise à renforcer la capacité des prestataires de services financiers à fournir des solutions de financement aux petites entreprises, aux femmes entrepreneurs et aux entreprises informelles, qui sont des segments de la population insuffisamment desservis mais essentiels pour stimuler la croissance économique, créer des emplois et favoriser l'inclusion financière. Les financements en monnaie nationale ont un impact particulier, ils protègent les emprunteurs en réduisant le risque de défaillance en cas de fluctuations monétaires et contribuent à un développement plus durable.
« Les MPME sont les piliers des économies émergentes, indique Kalina Miller, responsable régionale de l'Industrie pour l’Afrique Australe, Groupe des institutions financières d’IFC. Nous savons combien l'accès à des services financiers de qualité, pratiques et abordables peut transformer les petites entreprises et améliorer le bien-être des individus, des familles et des communautés. »
Dans le cadre de la plateforme « Base de la pyramide », IFC a lancé six projets à Madagascar depuis 2022 pour soutenir les activités de financement de l’UNICECAM, de la PAMF, d’ACEP Madagascar, de Baobab Banque Madagascar, et de Société Générale Madagascar, pour un montant total équivalent à 49,5 millions de dollars.
La collaboration d'IFC avec les institutions financières locales devrait soutenir 140 000 micro, petites et moyennes entreprises supplémentaires d’ici à fin 2027.


« Les MPME sont les piliers des économies émergentes. Nous savons combien l'accès à des services financiers de qualité, pratiques et abordables peut transformer les petites entreprises et améliorer le bien-être des individus, des familles et des communautés. »
Découvrez les parcours inspirants de trois entrepreneurs des Hautes Terres
Patricia
« Au départ nous étions locataires. Aujourd’hui, nous sommes propriétaires et nous mettons même une partie de notre bien en location. »


Le jour se lève à peine sur Miandrarivo Ambanidia, un quartier animé sur les hauteurs d’Antananarivo. Son mari et ses enfants dorment encore, mais Vololonirina Patricia Rakotonirina est déjà aux fourneaux. Le petit restaurant de rue - ou gargote comme on l'appelle communément à Madagascar - qu’elle possède ouvre tous les jours dès 6h00 du matin. Elle doit se lever très tôt pour préparer la soupe de riz, les samossas, la viande, et les boulettes de pommes de terre, tant appréciés des habitants du quartier.
À midi, la maison qu'elle et son mari ont construite au bout d’une ruelle, à l’arrière de leur gargote, résonne des bruits de leurs enfants qui jouent, de retour de l'école, tandis que Patricia continue son travail. Ses journées sont longues, s'étirant tard dans la soirée, alors qu'elle veille aux besoins de son petit restaurant.
« C’est en 2010 que j’ai décidé de me lancer dans ce projet parce qu'il est difficile de trouver un emploi. J'ai utilisé le peu d'argent dont je disposais pour démarrer la gargote », nous dit Patricia. Faute de fonds propres suffisants pour développer leur entreprise, son mari et elle se sont alors tournés vers le microcrédit.
Comme beaucoup de petits entrepreneurs à Madagascar, elle a découvert l'organisme de crédit par le bouche-à-oreille. « Je suis cliente de la PAMF depuis 2011. Je n’ai pas eu de problème pour préparer le dossier de demande de crédit. Les conseillers-clientèle ont fourni des explications petit à petit : on ne peut pas tout comprendre d’un seul coup », admet-elle.



La PAMF, Première Agence de Microfinance est implantée à Madagascar depuis 2006, avec une majorité de clients résidant dans la capitale et le nord du pays. Ses produits sont élaborés pour répondre aux besoins spécifiques des petits entrepreneurs. Les femmes représentent plus de la moitié des 400 000 clients de la PAMF et, avec un faible taux de prêts non performants, elles sont considérées comme des emprunteuses fiables.
Tsirimpitiavana Rakotondrazafy, gestionnaire de portefeuille PME à la PAMF, nous explique « avoir été attirée par la vision de la PAMF de réduire la pauvreté et d’inclure les femmes dans le système financier. » Et d'ajouter : « La PAMF est une institution majeure ici à Madagascar. »
Tsirimpitiavana Rakotondrazafy
Tsirimpitiavana Rakotondrazafy
Lorsqu'il s'agit d'accorder des prêts, il est essentiel de bien connaître le client, son entreprise, ses actifs et ses expériences personnelles. La plupart des clients des institutions de microfinance (IMF) ne peuvent fournir ni relevé bancaire ni bilan financier. L'analyse de terrain réalisée par les conseillers de la PAMF et les relations qu'ils établissent avec leurs clients permettent de combler ce manque, facilitant ainsi une meilleure évaluation de la capacité et de la volonté de remboursement des emprunteurs.
En 2011, Patricia et son mari ont obtenu un crédit initial de la PAMF d'un million d'ariary (soit environ 220 dollars). Aujourd’hui, ils parviennent à emprunter 3 millions d'ariary, soit un peu plus de 650 dollars.
Leur partenariat avec la PAMF leur a permis de développer leur petite entreprise – ils envisagent même de démarrer une nouvelle activité – et d’améliorer le bien-être de leur famille.
« Lorsque nous avons commencé à collaborer avec la PAMF en 2011, nous n’avions qu’un seul assistant. Nous n’avions pas encore d’enfant et à l’époque, nous étions locataires. Le crédit nous a permis d’engager un nouvel assistant. Aujourd’hui, nous sommes propriétaires, nous mettons même certains locaux en location. Nous avons deux enfants que nous pouvons scolariser », se réjouit Patricia.


« Le crédit nous a permis d'engager deux assistants. Nos deux enfants sont scolarisés. Tout va pour le mieux pour nous. » -- Patricia Rakotonirina, photographiée avec l'un de ses fils, devant la maison qu'elle a construite avec son mari.
« Le crédit nous a permis d'engager deux assistants. Nos deux enfants sont scolarisés. Tout va pour le mieux pour nous. » -- Patricia Rakotonirina, photographiée avec l'un de ses fils, devant la maison qu'elle a construite avec son mari.
Monique
« Nos ventes augmentaient, mais nos finances ne suivaient pas. Des amis nous ont parlé des possibilités de crédit. »



Nichée au milieu de collines verdoyantes et de rizières, à environ 70 km d’Antananarivo, Ambatolampy est réputée pour son travail de l’aluminium, hérité d’une tradition séculaire. Ici, l’aluminium est fondu puis moulé à la main pour créer les ustensiles utilisés dans toutes les cuisines malgaches. Les étals du marché regorgent de casseroles, de marmites et de couverts divers. La ville abrite de nombreuses fonderies artisanales, où le savoir-faire se transmet de génération en génération.
Monique Razaiarinoro est à la tête de l’une de ces petites fabriques. « Nous avons créé cette entreprise il y a environ 35 ans », dit-elle. « Nous en avons hérité de nos beaux-parents. Mon mari pratiquait ce métier depuis sa jeunesse. Un de nos fils travaille avec nous et il entend reprendre le flambeau. » Et d’ajouter : « Mon mari est responsable de l'atelier, c’est lui qui a toute l'expérience du métier. Je suis la gérante de l’entreprise. Je m’occupe des commandes et notre fils, des ventes et de la collecte de l’aluminium. Nous avons chacun nos responsabilités. »
Les ouvriers s'affairent dans l'atelier situé au fond d’une cour en terre battue, jonchée d’objets métalliques de toutes sortes, bordée d'un côté par la maison et de l'autre par la cuisine, l’étable et de petites remises. Leurs gestes sont précis et répétés : la méthode de fabrication reste toujours la même.
Les marmites sont fabriquées à partir d’aluminium recyclé, acheté auprès de marchands ou d’entreprises à Madagascar. Tubes, boulons, jantes de voiture et autres pièces diverses sont d'abord brisés puis fondus dans un four en briques situé au milieu de la cour. L’aluminium en fusion, rouge et visqueux, est ensuite versé dans un moule fabriqué à la main rempli d’un sable noir, fin et humide, que l'on trouve uniquement dans les rizières autour d'Ambatolampy. Les ouvriers compactent le sable à pieds nus pour préserver la consistance du moule en sable. Quelques minutes plus tard, après solidification, l’ensemble est refroidi et démoulé. Après avoir été limées et polies, les marmites sont prêtes à être vendues.
« Nous vendons au marché artisanal de Coum, à Tana. Et nous livrons en province, sur commande. Nos clients sont des clients fidèles. Ils nous appellent et nous leur expédions les produits par fourgons, camions ou taxibrousse », explique Monique, qui ajoute que « pendant la haute saison, c'est à peine si nous trouvons du temps pour dormir. Nous devons énormément travailler. »
La fonderie s’est développée au fil des années, nécessitant davantage de financement. Aujourd’hui, elle emploie douze personnes – quatre femmes et huit hommes – et produit jusqu’à 300 marmites par jour. « Nos ventes augmentaient, mais nos finances ne suivaient pas. Des amis nous ont parlé des possibilités de crédit », confie Monique. Elle précise que « le kilo d’aluminium coûte plusieurs dizaines d’euros. Il faut des fonds importants pour développer l'entreprise et produire davantage. Cela m’a amenée à approcher ACEP. »




ACEP Madagascar dessert les micro et très petites entreprises, principalement à Antananarivo et dans les régions du centre du pays. « À chaque fois que l’économie subit des tensions et des difficultés, nous sommes là pour financer les petits commerçants, » indique Mahefa Édouard Randriamiarisoa, directeur général d’ACEP Madagascar.
Mahefa Édouard Randriamiarisoa
Mahefa Édouard Randriamiarisoa
Les petits entrepreneurs, particulièrement ceux éloignés des centres urbains, ont historiquement rencontré des difficultés pour accéder aux services financiers. Pour se rapprocher de leurs clients, de nombreuses IMF traitent les demandes de financement recueillies par leurs agences locales établies dans tout le pays.
Grâce au réseau des points Karibo (qui signifie 'bienvenue' en malgache), développé à travers tout le pays, les emprunteurs peuvent effectuer des transactions financières, telles que le dépôt d’argent ou le remboursement des mensualités, dans des lieux de proximité comme les épiceries, les cash points ou les marchés, leur évitant ainsi de se déplacer en agence.
Un comptoir Karibo à Ambatolampy facilite les transactions financières des petits entrepreneurs malgaches.
Un comptoir Karibo à Ambatolampy facilite les transactions financières des petits entrepreneurs malgaches.
Selon Monique, « la démarche de demande de crédit auprès d’ACEP a été facile, et la collaboration est simple et agréable. Que ce soit pour le déblocage du prêt ou le remboursement, les choses sont faciles. »
Outre les services financiers et l’accompagnement, de nombreux emprunteurs des IMF bénéficient d’une couverture médicale pour eux-mêmes et leur famille. Cela améliore l’accès des entrepreneurs malgaches à des soins de santé de qualité et les protège en cas d’accidents ou de maladies graves. « Pendant la pandémie de COVID-19, trois d’entre nous sommes tombés malades. Et nous avons dû être hospitalisés », explique Monique.
Bien que les prêts soient principalement utilisés pour l’achat de la matière première, l’aluminium, ils ont également permis à Monique et à son mari d’augmenter le nombre de leurs employés et d’acquérir des véhicules de livraison.
Si Monique reconnaît volontiers que les prêts obtenus ont directement favorisé le développement de leur entreprise, ils ont également eu un impact positif sur la vie du foyer. « Nos enfants ont leur propre maison maintenant. Nous progressons sur tous les aspects de notre vie. »


« Nos enfants ont leur propre maison maintenant. Nous progressons sur tous les aspects de notre vie. » -- Monique Razaiarinoro, photographiée avec l'un de ses fils, qui travaille avec elle.
« Nos enfants ont leur propre maison maintenant. Nous progressons sur tous les aspects de notre vie. » -- Monique Razaiarinoro, photographiée avec l'un de ses fils, qui travaille avec elle.
Jacques
« Avec le temps, je n’ai plus voulu travailler pour le compte d'une autre personne. Je voulais être indépendant. »


Jacques Fidelis Randimbiarisoa, un artisan ébéniste qui habite le quartier d’Avaradoha, à Antananarivo, rêvait de posséder un jour sa propre entreprise. Lorsqu’il prit la décision, en 2013, de quitter la province de Mahajanga, à l’ouest de Madagascar et la petite fabrique de maquettes de voitures et de bateaux en bois pour laquelle il travaillait pour s’installer à Tana avec sa famille, il ne possédait ni maison, ni atelier. Mais son épouse et lui étaient déterminés à tenter leur chance dans la capitale pour offrir de meilleures opportunités à leurs enfants.
« La vie à la campagne est dure. J’ai donc cherché du travail à Antananarivo. Avec le temps, je n’ai plus voulu travailler pour le compte d'une autre personne. Je voulais être indépendant. Et j'ai créé ce petit atelier », confie Jacques.
Jacques a toujours travaillé le bois, mais c’est après s’être installé à Tana qu’il a commencé à fabriquer des horloges murales. « Au départ, j’étais dans une période d’apprentissage parce que c'était quelque chose de nouveau pour moi. Mais les choses ont bien marché. Et maintenant, je dois employer des gens », ajoute-t-il.
Lancer sa propre affaire ne fut pas une mince affaire. Le bois, en tant que matière première, représente un coût important, particulièrement pour certaines essences plus rares. « Le bois coûte cher, explique Jacques. Un million d’ariary (environ 220 dollars) ne suffit plus. Il faut deux millions d'ariary maintenant, sans compter qu’il faut acheter des équipements plus performants pour répondre à la demande croissante. »
Au début, Jacques et son épouse arrivaient à financer leur activité par leurs propres moyens. Cependant, leur savoir-faire a rapidement gagné en reconnaissance, et peu à peu, ils ont commencé à vendre leurs produits dans toutes les provinces de Madagascar. Au fur et à mesure que leur entreprise se développait, les ressources et les capitaux nécessaires à son fonctionnement augmentaient également. C’est alors qu’ils ont pris la décision de recourir au microcrédit.
« Il fallait avoir un stock suffisant de matières premières. Un ami m’a conseillé de demander un financement auprès d’ACEP. Il estimait que les prêts y étaient abordables et que la collaboration avec l’institution était bonne », nous dit Jacques. « Nous avons ainsi pu financer l'achat de matériaux tels que le bois, la colle et les mécanismes des horloges. Le crédit a soutenu notre travail tout au long de l’année. »




Le premier crédit que Jacques Randimbiarisoa a obtenu était de 600 000 ariary (environ 130 dollars). « Les agents d’ACEP sont venus visiter l'atelier. Ils ont contrôlé de très près de ce que nous faisions. Et j’ai obtenu le prêt », précise-t-il.
Au fur et à mesure que son activité se développait, Jacques a pu emprunter des montants progressivement plus importants. Aujourd’hui, il emprunte 2,2 millions d’ariary par an, soit environ 480 dollars. Cela lui suffit pour faire tourner son entreprise. « Je n'ose pas prendre emprunter beaucoup d'un seul coup », avoue-t-il.
L’intervention des IMF ne se limite pas à l’octroi de crédit. Dans tous les cas, un accompagnement et un programme de formation en éducation financière sont mis en place afin que les emprunteurs comprennent bien les conditions de leurs prêts, gèrent correctement leurs remboursements, et soutiennent la croissance et le développement de leurs activités. Jacques nous explique que « ACEP m’a vraiment aidé, parce qu’avec chaque contrat, on reçoit une formation. On nous explique ce qu’est le prix de revient, ce que nous devons faire pour que notre production augmente. »
Aujourd’hui, Jacques et son épouse sont à la tête d’une entreprise florissante de cinq personnes. Les horloges et les maquettes en bois que Jacques fabrique sont vendues dans tout Madagascar, notamment dans des boutiques d’artisanat malgache. Ses créations sont aussi exportées à la Réunion, à Maurice ou en France métropolitaine.
Les financements obtenus ont non seulement permis à Jacques et à son épouse de développer leur entreprise et d'acquérir des véhicules de livraison, mais aussi d'acheter un terrain à Antananarivo pour y construire leur maison et leur atelier. « Ma femme et moi, nous avons pu réaliser des choses concrètes. Nous avons pu bâtir notre maison. Nous avons pu scolariser nos enfants », se réjouit Jacques. L'aîné est devenu ingénieur civil, tandis que les deux plus jeunes sont encore à l'école.


« Ma femme et moi, nous avons pu réaliser des choses concrètes. Nous avons pu bâtir notre maison. Nous avons pu scolariser nos enfants. » --Jacques Fidelis Randimbiarisoa, photographié avec son épouse.
« Ma femme et moi, nous avons pu réaliser des choses concrètes. Nous avons pu bâtir notre maison. Nous avons pu scolariser nos enfants. » --Jacques Fidelis Randimbiarisoa, photographié avec son épouse.
Publié en décembre 2024
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