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Fabrication de vaccins en Afrique : « il faut entrer dans le concret »

avril 5, 2023

Devon Maylie

Le Dr Morena Makhoana est directeur général de Biovac, une société biopharmaceutique sud-africaine réputée pour la fabrication de vaccins. Depuis que le Dr Makhoana en est le directeur, Biovac a obtenu trois importants transferts de technologie de grands groupes pharmaceutiques internationaux comme Sanofi et Pfizer qui ont contribué au développement de la société. Celle-ci fait également partie d’un consortium qui a établi un partenariat avec l’Organisation mondiale de la santé et ses partenaires COVAX, et créé le premier pôle de transfert de la technologie à ARN messager pour la fabrication des vaccins contre la COVID-19 en Afrique du Sud. L’entretien qui suit est la transcription condensée d’une interview donnée à IFC par le Dr Makhoana en marge de la Conférence mondiale sur la santé organisée au Cap par IFC. Le dirigeant y évoque le point de bascule atteint par les producteurs africains de vaccins ainsi que les questions délicates qui se posent à ce secteur en matière de croissance, d’accès au financement et de pérennité.

Dr. Morena Makhoana
Dr. Morena Makhoana

Q : Comment voyez-vous l’avenir de la fabrication de vaccins en Afrique ?

R : Pour répondre à cette question, il faut d’abord revenir un peu en arrière. Avant la pandémie de COVID, l’avenir de la production de vaccins en Afrique était un sujet qui n’intéressait personne en dehors des fabricants et des gouvernements africains. Ensuite, au moment du pic de l’épidémie, compte tenu des inégalités qui sont devenues apparentes, certains se sont réveillés et se sont dit : « Bon, qu’est-ce qu’il faut faire sur le continent ? » On en est maintenant à la troisième phase. Le plus fort de l’épidémie s’est calmé et l’attention se porte désormais sur la pérennité de l’activité de production de vaccins en Afrique. De nouveaux fabricants sont apparus en Afrique au cours des trois dernières années, et il faut les soutenir pour assurer une solide assise au secteur. De mon point de vue, l’avenir est prometteur, mais le chemin pour y arriver ne sera pas forcément aussi facile que certains le pensent.

Q : Quels écueils ou obstacles anticipez-vous ?

R : Comme pour toute activité de n’importe quel secteur, il convient de se poser une question très simple : qui va acheter le produit et comment se distinguer des autres ? Il me semble que c’est là que réside toute la difficulté : qui va effectivement acheter les produits des fabricants africains s’il existe des unités de production ailleurs dans le monde ? C’est vraiment une question centrale. Des bailleurs de fonds sont prêts à financer les fabricants de vaccins africains, mais ils considèrent aussi l’opération sous l’angle commercial. Nous devons donc trouver l’élément qui va nous différencier des autres fabricants. Ou alors nous devons trouver l’acheteur qui se déclare prêt à ajouter une 11e marque de vaccin aux 10 autres marques qu’il achète déjà. C’est tout l’enjeu aujourd’hui : il faut entrer dans le concret. Je crois que si nous réussissons à résoudre ce problème, les fabricants africains pourront obtenir des financements bien plus rapidement qu’à l’heure actuelle.

Q : Ces deux dernières années, on a beaucoup parlé de l’achat par les pays africains de vaccins fabriqués en Afrique. Si cela se confirme, la demande sera-t-elle suffisante ou la pérennité de l’activité dépend-elle en plus d’une demande extérieure au continent ?

R : Un fabricant doit forcément considérer la demande mondiale pour assurer sa pérennité de son produit. Regardez l’Inde, par exemple. L’Inde est le plus gros producteur de vaccins au monde, et l’on sait qu’une grande partie de ces vaccins est exportée vers l’Afrique. Donc, les fabricants indiens ne se sont pas contentés d’envisager les ventes en Inde, ils ont aussi recherché de la demande ailleurs.

Néanmoins, si je suis convaincu que les producteurs africains doivent viser plus large que l’Afrique, leur présence sur ce continent est un bon point de départ. C’est une bonne base parce qu’il y a du volume en Afrique. Le taux de natalité, qui est l’indicateur à suivre pour la demande de vaccins infantiles, est au rendez-vous. D’ici 2050, l’Afrique sera le continent le plus peuplé. Vendre des vaccins en Afrique est le minimum indispensable, et c’est un minimum d’importance. Mais d’un point de vue général, je pense que ce serait bien que les fabricants africains aient des visées bien plus larges que le seul marché africain.

Q : À votre avis quels sont les enseignements clés des trois dernières années pour les fabricants africains de vaccins ?

R : Je crois qu’on est en train de comprendre par où commencer. Beaucoup d’entre nous ont considéré les opérations de remplissage et de finition comme une activité à leur portée. Certains se rendent maintenant compte que, même pour cette activité, la mise en place prend du temps. Ils sont de plus en plus nombreux à penser que nous ne devrions pas nous contenter du remplissage-finition, mais regarder en amont vers les substances actives. Cependant, plus on remonte en amont, plus le risque augmente et plus il faut d’expertise. Donc, c’est plus facile à dire qu’à faire ! Il me semble quand même qu’il y a une prise de conscience : chacun se rend compte que son voisin pourrait bien lancer une activité de remplissage-finition, et que, par conséquent, il ferait mieux de chercher comment se positionner lui-même. Les réponses ne sont peut-être pas encore disponibles, mais j’ai l’impression que les questions commencent à être plus claires dans l’esprit des fabricants africains. En plus — et c’est un autre point positif — tout le monde parle à présent de la question de la pérennité, alors qu’avant on se contentait de dire qu’il fallait une production de vaccins africaine, comme une simple injonction politique. Maintenant tout le monde utilise le terme « durable » et se demande comment faire pour assurer la pérennité de l’activité. C’est stimulant.

Q : Quel est l’élément distinctif de la fabrication africaine de vaccins qui peut contribuer à sa pérennité ?

R : Je pense que chaque fabricant citera probablement un élément distinctif qui lui est propre. Je ne peux que parler de la société que je dirige. L’activité de remplissage-finition est en place. Je pense donc qu’il est important que nous nous intéressions aussi aux substances actives, de manière à assurer la totalité de la fabrication. C’est un premier élément distinctif. Un autre serait d’investir des domaines dans lesquels les autres ne veulent pas forcément aller. C’est une perspective qui devra encore être creusée. Nous allons, par exemple, nous intéresser au vaccin contre le choléra, dont les producteurs sont peu nombreux. Il y a aussi la sous-traitance, qui est un autre domaine encore inexploité par la plupart des fabricants. Il est possible qu’un producteur de vaccins dans une autre partie du monde fabrique le même vaccin et se dise qu’au lieu de le produire dans son propre pays, il pourrait travailler avec un fabricant africain.

Q : Quelle sera l’importance des partenariats dans la recherche de pérennité du secteur en Afrique ?

R : Les partenariats seront toujours un facteur important. Je dis toujours que nous ne serions jamais arrivés où nous en sommes sans partenariat. Il nous faut susciter la confiance et renforcer nos capacités, et pour cela nous avons besoin d’établir des partenariats avec des organisations multilatérales, et avec des bailleurs de fonds.

Q : Comment envisagez-vous l’avenir de Biovac ?

R : Nous gardons l’ambition d’assurer la production de bout en bout et de trouver des débouchés sur le marché mondial. Assurer la fabrication de bout en bout est un objectif important parce qu’il est gage de pérennité. Je crois que si nous atteignons ces deux objectifs — production de bout en bout et ouverture à l’international — l’Afrique pourra être fière de cet accomplissement.

Publié en avril 2022