Opportunités du numérique dans les entreprises africaines
Exploiter pleinement la technologie

En bref
Dans quelle mesure les entreprises africaines utilisent-elles la technologie numérique, à quelles fins, et comment peut-on les encourager à l'exploiter davantage ? Si des progrès ont été réalisés dans la numérisation de l'Afrique — les paiements mobiles sont un exemple de réussite —, les entreprises sont toujours en butte à des obstacles comme le coût élevé de ces outils. Une étude menée par IFC révèle qu'il reste beaucoup à faire pour leur donner la capacité et les moyens d'exploiter pleinement le potentiel du numérique. Ce nouveau rapport, intitulé en anglais Digital Opportunities in African Businesses, détaille différentes mesures à prendre, depuis les investissements dans l'infrastructure numérique jusqu'au financement de start-up technologiques qui proposent des solutions digitales conviviales et abordables. Plus de 600 000 entreprises officiellement enregistrées et 40 millions de microentreprises, soit environ 20 % des entreprises africaines, sont potentiellement prêtes à tirer parti des progrès numériques.
La numérisation ouvre de multiples opportunités d'investissement, tant pour les entreprises africaines que pour leurs partenaires en affaires. Un recours plus large à ces technologies dans toutes les activités économiques peut aider les entreprises à devenir plus productives, plus rentables et à s'intégrer dans les chaînes de valeur mondiales, régionales et locales.
La marge de progression est considérable : moins d'une entreprise sur trois s'étant dotée d'outils numériques les utilise intensivement dans le cadre de ses activités — les auteurs utilisent le terme de « numérisation incomplète » pour décrire ce phénomène. Cette sous-utilisation est encore plus fréquente dans les petites et microentreprises, qui représentent la majeure partie du tissu entrepreneurial africain.
Un usage plus intensif des outils numériques serait probablement bénéfique pour les résultats des entreprises : l'étude montre une forte corrélation positive entre une numérisation plus avancée et son utilisation intensive avec des taux plus élevés de productivité, quels que soient la taille de l'entreprise, le secteur et la localisation, entre autres facteurs. Le recours à des technologies plus avancées peut expliquer jusqu'à 30 % des différences de productivité à l'échelle des entreprises.
Pourtant, le tableau est loin d'être totalement sombre. L'écosystème de l'internet mobile est florissant et la plupart des sociétés africaines, y compris les microentreprises, utilisent des téléphones mobiles. Plus de la moitié de celles qui emploient au moins cinq personnes disposent d'un ordinateur connecté à internet, et la proportion passe à 80 % pour les moyennes et grandes entreprises.
Les paiements numériques sont d'importants points d'entrée dans la numérisation et 62 % des sociétés utilisent des outils avancés pour leurs transactions. Cependant, beaucoup tardent encore à déployer des solutions numériques pour d'autres fonctions de l'entreprise. Les résultats de l'étude indiquent que la technologie numérique peut se révéler un outil indispensable pour les entreprises de toutes tailles, en particulier les plus petites, en les aidant à élargir leurs marchés, à obtenir des informations et à entrer en contact avec leurs fournisseurs et leurs clients.
Trois obstacles majeurs se dressent sur la voie d'une numérisation plus complète : le manque d'infrastructures, le prix élevé des technologies et l'insuffisance des financements. On estime que 600 millions d'Africains (soit environ la moitié de la population du continent) ne disposent pas de l'électricité tandis qu'à peu près le même nombre n'a pas accès à un réseau mobile 4G. Par ailleurs, le coût des appareils numériques et de la connectivité y est le plus élevé du monde. Par exemple, le prix des machines et équipements numériques, y compris les logiciels, est trois fois plus cher en Afrique subsaharienne qu'aux États-Unis, même si l'on tient compte du pouvoir d'achat beaucoup plus faible des Africains. L'internet fixe à haut débit coûte environ 20 % du revenu national brut par habitant en Afrique subsaharienne, contre moins de 6 % dans les autres régions en développement.
Malgré tous ces obstacles, le continent a enregistré de nombreuses réussites majeures dans le domaine de la numérisation, tant au niveau du développement de l'infrastructure que des applications commerciales innovantes. Par exemple, le système de câble sous-marin d'Afrique de l'Est, un réseau de fibre optique de 10 000 kilomètres, a considérablement augmenté la capacité numérique dans cette région. En ce qui concerne les applications commerciales, au Mozambique, le projet Third Eye déploie des drones équipés de capteurs pour prendre des images et d’outils pour les analyser, ce qui aide les agriculteurs à mieux gérer les intrants et à maximiser les rendements.
L'augmentation des investissements dans l'infrastructure numérique dite du kilomètre intermédiaire et du dernier kilomètre peut améliorer la qualité de la connectivité internet dans la région tout en réduisant les prix. L'installation de nouveaux câbles sous-marins devrait permettre de multiplier par six la largeur de bande des liaisons internet internationales d'ici 2027 par rapport à 2022. Cette extension devrait entraîner une baisse du prix des connexions à haut débit et pourrait générer jusqu'à 32 milliards de dollars d'investissements au cours des cinq prochaines années.
Une concurrence accrue entre les fournisseurs de services numériques serait la bienvenue, car elle tend à faire baisser les prix et à faciliter l'accessibilité. Ainsi aux Comores, après que l'entreprise publique de télécommunications a mis fin à son monopole, la part de la population utilisant la téléphonie mobile est passée de 27 à 38 %. Et lorsque le fournisseur de fintech Wave a été autorisé à concurrencer les opérateurs historiques en Côte d'Ivoire et au Sénégal, on a pu constater une baisse des frais de transaction pour les paiements effectués sur des appareils mobiles.
Les fournisseurs de technologies numériques, en particulier les start-up innovantes, peuvent créer des applications et des plateformes abordables, conviviales et adaptées aux besoins spécifiques des entreprises. L'écosystème de ces jeunes pousses est florissant en Afrique, le nombre de pôles technologiques ayant plus que triplé entre 2016 et 2021. Jusqu'à présent, elles sont principalement financées par des investisseurs en capital-risque et en capital-investissement d'Europe et d'Amérique du Nord, ainsi que par des institutions de financement du développement (IFD), ce qui laisse penser que la marge de croissance est encore très importante sur ces marchés.
Les pôles technologiques africains sont surtout concentrés dans les grandes villes d'Égypte, du Kenya, du Nigéria et d'Afrique du Sud, mais leur essor s'accélère ailleurs sur le continent. Un soutien plus marqué sous forme de subventions et de capital-risque, en particulier dans les secteurs à fort impact tels que l'agrotechnologie, le e-management ou les technologies de la santé et de l'éducation, pourrait les aider à surmonter les obstacles financiers que constituent les taux d'intérêt élevés et l'absence de garanties.
Les entreprises de tous les secteurs auront besoin de davantage d'appui afin de pouvoir digitaliser leurs opérations quotidiennes. Par exemple, selon différents scénarios, il faudrait 2,7 milliards de dollars de financements supplémentaires pour aider les entreprises formelles existantes à numériser leurs fonctions administratives. Or les sociétés africaines qui demandent des prêts pour réaliser des modernisations technologiques et augmenter leur production connaissent des taux de rejet plus élevés que leurs homologues dans d'autres régions, une contrainte particulièrement préjudiciable aux petites entreprises. Les marchés émergents du crédit numérique peuvent assurer une augmentation potentielle du financement à moindre coût en améliorant l'accès à l'information et l'évaluation des risques.
Une baisse des droits de douane sur les produits numériques et une meilleure intégration des marchés pour les solutions commerciales numériques rendraient la technologie plus abordable. Les tarifs douaniers sur les produits numériques sont plus élevés en Afrique que dans d'autres régions. La Zone de libre-échange continentale africaine devrait réduire ces droits sur les produits technologiques importés des pays membres, mais son impact risque d'être limité si les concessions tarifaires ne sont pas étendues au-delà des pays membres. En outre, des réformes réglementaires sont nécessaires pour stimuler la concurrence, réduire les risques et encourager l'investissement privé dans les infrastructures numériques et les start-up innovantes, ainsi que l'adoption des outils numériques par les entreprises.
Pour l'avenir, l'actuelle numérisation incomplète de l'Afrique ouvre de nombreuses perspectives au secteur privé. Les investissements dans les nouvelles technologies numériques ont le potentiel de transformer fortement la manière dont les produits sont fabriqués et distribués dans tous les secteurs, en facilitant l'obtention et la compréhension des informations, et en aidant les travailleurs à améliorer leurs compétences au fil de leur parcours professionnel.
Auteurs
Marcio Cruz (Editor), Zineb Benkirane, Xavier Cirera, Yannick Djoumessi, Samuel Edet, Beliyou Haile, Georges Houngbonon, Maty Konte, Megan Lang, Florian Mölders, Mariana Pereira-López, Santiago Reyes Ortega, Edgar Salgado, Tarna Silue, Davide Strusani et Trang Thu Tran.
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