Aux Fidji, la généralisation des paiements électroniques renforce l’économie

Un récit de Caitríona Palmer. Multimédia : Armando Gallardo.
Un après-midi à Suva, la capitale portuaire très animée des Fidji. Fatala Roma fait patiemment la queue dans une boutique Digicel, un opérateur de téléphonie fixe et mobile local.
Employée comme femme de ménage dans un bureau voisin, Fatala est venue chez Digicel pour déposer de l’argent sur son portefeuille MyCash, une application mobile qui permet aux utilisateurs d’avoir de l’argent électronique à portée de main.
D’un simple glissement de doigt sur son smartphone, elle peut désormais envoyer de l’argent à sa mère qui s'occupe de sa fille de trois ans et qui vit à deux cents kilomètres de là sur Vanua Levu, la deuxième plus grande île de l’archipel.
Auparavant, Fatala lui transférait de l’argent en passant par sa banque, mais la transaction manuelle prenait quelques jours. « Maintenant, dès que j’appuie sur “envoyer”, [l’argent] arrive directement à ma mère. »
La modernisation du système de paiements électroniques, qui rend les transferts d'argent plus rapides, plus sûrs et plus abordables, est le dernier volet d'une série de réformes financières qui améliorent la vie quotidienne des Fidjiens tout en favorisant les investissements dans ce pays insulaire isolé du Pacifique.
Grâce à ces réformes, les banques et les prestataires de services de paiement des Fidji peuvent collaborer de manière fluide et éviter des procédures manuelles de transfert d’argent, longues et sources d'erreurs. Fondées sur une nouvelle législation mise en œuvre suivant les conseils de la Société financière internationale (IFC) et de la Banque mondiale, les réformes réduisent la dépendance des Fidjiens à l'égard de l'argent liquide et élimineront progressivement l'utilisation des chèques. Elles ouvrent également la voie à d'autres méthodes de paiement, en particulier celles proposées par les acteurs locaux de la FinTech et les opérateurs de réseaux mobiles.
Dans une économie où la principale source de revenus est le tourisme — le secteur représente jusqu'à 40 % du PIB de ce pays le plus visité du Pacifique Sud —, le système de paiements modernisé n'est pas seulement plus pratique et diversifié pour les consommateurs locaux, mais aussi pour les visiteurs internationaux.
« Dans le monde entier, les choses évoluent rapidement et nous ne voulons pas être à la traîne », déclare Ariff Ali, gouverneur de la Reserve Bank of Fidji (RBF).
« Les touristes qui viennent aux Fidji attendent des modalités de paiement répondant aux normes mondiales. La modernisation de notre système est un moyen pour la Banque centrale, en collaboration avec le système financier fidjien, de contribuer à l'amélioration de l'efficacité et de la productivité de l'économie. »




« Maintenant, dès que j’appuie sur “envoyer”, [l’argent] arrive directement à ma mère. »
En route vers un futur sans argent liquide
Au sixième étage de l’un des plus hauts édifices du centre-ville de la capitale, les fenêtres de la RBF donnent sur le ciel nuageux du port de Suva.
Depuis son bureau, Praneel Prasad a supervisé le projet de modernisation de la structure de paiement électronique du pays. D’une durée de quatre ans, ce projet a été lancé — bien involontairement — le premier jour de l'entrée en vigueur du confinement pour cause de COVID-19, en avril 2020. De fait, les équipes chargées de la restructuration du système ont dû travailler presque entièrement en ligne.
À l'époque, explique M. Prasad, la réforme de l'infrastructure de paiement numérique des Fidji était en retard par rapport à d'autres économies émergentes. En effet, même si le pays disposait déjà d’un système de règlement brut en temps réel (RBTR) opérationnel — c'est-à-dire l'architecture numérique qui permet aux banques de se transférer des fonds entre elles — l'ensemble du système fidjien devait être amélioré.
Selon Aaron Mayes, le directeur de Supercuts, un salon de coiffure florissant du centre de Suva, les lenteurs et la dépendance à l’égard de l’argent liquide se répercutaient sur les petites entreprises.
Situé au deuxième niveau d’un centre commercial très fréquenté, Supercuts accepte les espèces la plupart du temps, mais propose aussi à ses clients de payer via le porte-monnaie électronique de Vodafone, M-PAiSA.


« Il est beaucoup plus pratique de transférer de l’argent par voie électronique à la banque », explique Aaron Mayes, qui observe que les nouvelles réformes offriront aux petites entreprises comme Supercuts la possibilité de se passer d’argent liquide.
« La manipulation d'espèces peut créer des problèmes, tandis que les paiements électroniques sont beaucoup plus sûrs », ajoute-t-il. « Nous n’avons pas besoin de nous dépêcher d'aller à la banque. Cela nous fait gagner du temps, du temps gagné pour travailler. »
Lors de l'élaboration de la nouvelle législation, explique Praneel Prasad, la première étape a consisté à créer un système de paiements électroniques incluant les banques existantes, mais également ouvert aux nouvelles technologies et aux acteurs non bancaires afin de favoriser l'inclusion financière.
« Il nous fallait définir des règles du jeu équitables pour tous, actuels ou nouveaux acteurs », souligne le chef du projet.
« Le système contribue aussi à mailler tout le territoire des Fidji de différents lieux où les gens peuvent déposer de l'argent et payer pour des biens et des services. L'objectif est de faciliter l'accès des Fidjiens et des visiteurs à un système de paiements électroniques sûr, abordable, rapide et fiable », explique Charlotte Darlow, haute-commissaire de la Nouvelle-Zélande aux Fidji.
Sameer Chand, qui a commencé sa carrière au sein de la RBF, est aujourd’hui chargé des opérations d'IFC et basé à Suva. À l’époque, il travaillait avec IFC pour aider les banques centrales d’autres pays insulaires du Pacifique à entreprendre des réformes analogues.
Lorsque le gouverneur Ariff Ali a évoqué la possibilité de moderniser le système de paiements électroniques du pays, Sameer Chand et ses collègues d’IFC et de la Banque mondiale à Suva étaient en mesure de l'aider.
« Il est beaucoup plus pratique de transférer de l’argent par voie électronique à la banque. »

« Il s'agit d'une solution habituelle au niveau du Groupe de la Banque mondiale, car l'équipe chargée de la modernisation du système était composée d'experts des deux institutions, précise Sameer Chand. Notre objectif était de contribuer à la construction d’un écosystème de paiements électroniques durable. »
« La RBF avait la possibilité de s’adresser à n’importe quel partenaire multilatéral du développement, ajoute-t-il, mais je crois qu’ils ont choisi IFC et la Banque mondiale parce que nous avons une expérience et une expertise avérées dans la mise en œuvre de tels projets. »
Les gouvernements de pays voisins sont également intervenus. Dans le cadre de leur partenariat avec les Fidji, qui vise à améliorer la compétitivité du secteur privé et à stimuler les investissements inclusifs et climato-intelligents dans l’ensemble des Fidji, les gouvernements de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ont apporté un soutien essentiel.
« La réforme économique est une priorité partagée entre les Fidji et l’Australie dans le cadre de notre partenariat Vuvale. Permettre aux institutions financières de se transférer des fonds entre elles, en temps réel, jette les bases de produits et de services de paiement numérique nouveaux et innovants », indique Clair McNamara, haute-commissaire adjointe de l’Australie aux Fidji.
« Cela signifie que les clients fidjiens, quelle que soit la personne avec laquelle ils font affaire, peuvent procéder à des paiements beaucoup plus rapidement qu’auparavant. »
« Notre objectif était de contribuer à la construction d’un écosystème de paiements électroniques durable. »
Des paiements rapides améliorent la vie quotidienne
En février 2021, le gouvernement des Fidji a introduit le premier de deux nouveaux cadres réglementaires pour permettre le développement des paiements numériques.
Les résultats ont été immédiatement visibles dans l’ensemble du secteur bancaire national. Dans un pays fortement dépendant des flux de transferts de fonds, le nombre annuel de transactions effectuées par voie électronique via le RBTR a atteint 2,1 millions entre août 2023 et juillet 2024. À titre de comparaison, il était d'à peine 150 000 transactions au cours de l’exercice clos en juillet 2019.
« [Auparavant], beaucoup de ces transactions étaient traitées manuellement », se souvient M. Prasad. « Quand vous vouliez envoyer 100 dollars fidjiens de la banque A à la banque B, cela prenait au moins une journée. Aujourd’hui, grâce à la nouvelle législation et au nouveau système de paiements, il faut moins de trente secondes aux banques qui ont mis en œuvre un traitement automatisé continu. »
Ce nouvel environnement a par ailleurs ouvert la voie à de nouveaux acteurs innovants dans le monde des méthodes de paiement, tels que les FinTechs et les opérateurs de réseaux mobiles, qui sont en mesure d'atteindre les communautés les plus vulnérables de l'archipel.
Mereia Volavola est la directrice générale de Solé, une plateforme FinTech lancée en 2022 pour fournir des services financiers à la population autochtone des Fidji, qui s'est depuis toujours heurtée à des obstacles pour accéder aux services financiers formels.
« En réalité, de nombreux autochtones ont gardé leurs anciennes habitudes : ils continuent à littéralement enterrer leur argent dans des trous ou à le cacher sous leurs matelas, parce qu’ils ont encore du mal à ouvrir un compte bancaire », explique Mereia.
Le nom de Solé s'inspire d'un mot fidjien, Solesolevaki, qui désigne une tradition autochtone selon laquelle les communautés se réunissent en temps de crise ou de célébrations pour mettre leur argent en commun. La plateforme propose une application numérique de budgétisation et d’épargne avec 20 « enveloppes » prédéfinies qui permettent aux utilisateurs de placer et de bloquer des fonds à différentes fins, notamment les factures d’eau ou d’électricité, l’épargne et les investissements.
Aujourd’hui, grâce à la nouvelle législation, Solé a pu s'intégrer au système national de paiements des Fidji, ce qui lui permet d'atteindre les groupes non bancarisés et mal desservis de la population autochtone.
« Notre objectif premier était de stimuler et d’améliorer l’autonomisation financière et l’indépendance de notre population autochtone », explique Mereia Volavola. « Notre souhait est que la prochaine génération développe une culture de l’épargne plutôt qu’une culture de la consommation. C’est particulièrement important dans un pays si exposé à de nombreuses catastrophes naturelles. »



« Quand vous vouliez envoyer 100 dollars fidjiens de la banque A à la banque B, cela prenait au moins une journée. Aujourd’hui, grâce à la nouvelle législation et au nouveau système de paiements, il faut moins de trente secondes aux banques qui ont mis en œuvre un traitement automatisé continu. »
Alors que les Fidji sont en première ligne face au changement climatique — de violents cyclones frappent régulièrement la région et des dizaines de villages de l’archipel risquent d'être submergés —, la réforme du système de paiements électroniques offre également au gouvernement une chance d’améliorer sa capacité à répondre aux catastrophes climatiques.
Selon le gouverneur de la RBF, les paiements rapides, en particulier en cas d'urgence ou de catastrophe, ne sont pas seulement essentiels, ils peuvent aussi sauver des vies.
« Il n'est plus du tout envisageable de dire aux personnes victimes d'une catastrophe naturelle ou aux bénéficiaires de prestations sociales de se déplacer pour venir chercher de l'argent liquide », explique-t-il. « À l’heure où notre pays est menacé par ces terribles dangers, la nouvelle réglementation fidjienne sur les paiements électroniques améliore vraiment la vie. »
Situées à plus de 3 000 kilomètres à l’est de l’Australie au milieu d'un océan bleu azur, les Fidji, qui comptent plus de 300 îles bordées de palmiers et une population de 900 000 habitants, sont particulièrement exposées aux effets du changement climatique. La réforme du système de paiements électroniques du pays offre également au gouvernement l’occasion d’améliorer sa capacité à répondre aux catastrophes liées au dérèglement du climat.
Situées à plus de 3 000 kilomètres à l’est de l’Australie au milieu d'un océan bleu azur, les Fidji, qui comptent plus de 300 îles bordées de palmiers et une population de 900 000 habitants, sont particulièrement exposées aux effets du changement climatique. La réforme du système de paiements électroniques du pays offre également au gouvernement l’occasion d’améliorer sa capacité à répondre aux catastrophes liées au dérèglement du climat.

Publié en février 2025