Les Malawiens avancent vers un avenir numérique
Le Malawi s’emploie à garantir un accès internet fiable et abordable et à former sa main-d’œuvre au numérique, avec à la clé des opportunités de croissance sans précédent.

Dans son officine située sur un carrefour commerçant de Lilongwe, la capitale du Malawi, Harriet Bwanali attrape une boîte de médicament en haut d’une étagère.
Dans le local étroit et frais de Choice Pharmacy, le calme est seulement troublé par le bruissement qui retentit d’un petit appareil numérique portable quand un client effectue un achat.
Le terminal de paiement constitue la colonne vertébrale numérique de ce petit commerce. Les clients d’Harriet Bwanali achètent principalement des remèdes contre le paludisme et les infections respiratoires. Et même si plus de la moitié d’entre eux payent en liquide, le petit appareil permet à la pharmacienne d'effectuer des transactions par téléphone portable, mais aussi de comptabiliser ses ventes journalières. Outre son smartphone, elle ne dispose d’aucune autre technologie numérique pour gérer son entreprise. Elle aimerait se doter d’un logiciel spécialement conçu pour les pharmacies, mais n’a pas encore les moyens de l'acquérir.
« Il existe un logiciel qui permet aux pharmaciens de voir directement leurs ventes de la journée et de connaître exactement leurs stocks », explique Harriet Bwanali, qui a ouvert sa pharmacie en 2020 après une longue carrière de sage-femme. « Nous n'avons pas encore ce programme, et je pense qu’il changerait beaucoup de choses pour notre entreprise. »
Si la diffusion d’internet, de la téléphonie mobile et des paiements numériques a été rapide en Afrique, cet essor ne s’est pas traduit par des usages généralisés et plus productifs en mesure de doper la réussite des entreprises. D’où une marge de progression considérable et des perspectives prometteuses de changement et de transformation.
C'est ce que révèle une nouvelle publication de la Société financière internationale (IFC), qui paraît cette semaine sous le titre Digital Opportunities in African Businesses (« Opportunités du numérique dans les entreprises africaines »). Cette étude montre comment plus de 600 000 entreprises formelles et 40 millions de microentreprises africaines (moins de cinq employés) pourraient tirer parti d’un meilleur accès à la technologie, mais aussi d’une utilisation plus intensive de ces outils. Les auteurs mettent en évidence une forte corrélation entre la productivité et le recours à des technologies avancées : la croissance de la productivité est beaucoup plus rapide dans les entreprises qui utilisent des outils numériques que chez celles qui ne le font pas. Selon l’étude, les investissements dans la numérisation pourraient accélérer la croissance de la productivité des entreprises africaines, avec à la clé des hausses de salaires et des créations d’emplois.
« Alors que l’Afrique a connu une diffusion remarquable des technologies de l’information et de la communication, il faut à présent faire en sorte que les entreprises exploitent effectivement les outils disponibles pour se développer, être compétitives sur de nouveaux marchés et innover », souligne Makhtar Diop, directeur général d’IFC.
« Beaucoup d’entreprises dépendent encore de processus analogiques et manuels. Or ces tâches pourraient être transformées par la technologie, ce qui conduirait à une augmentation significative de la productivité. »
Alors que 86 % des entreprises africaines ont accès à des outils numériques comme la téléphonie mobile et internet, 11 % seulement font un usage intensif de technologies numériques avancées, indique l’ouvrage d’IFC réalisé avec le soutien financier du Japon.
Les principaux obstacles à la numérisation complète des entreprises africaines sont le manque d’infrastructures, les coûts élevés, les lacunes en matière de compétences numériques et l’accès limité aux financements. Le coût prohibitif de la technologie constitue un frein majeur, avec des prix jusqu’à 35 % plus chers en Afrique subsaharienne que dans les autres régions.
Pour remédier à ces obstacles, explique Marcio Cruz, économiste principal à IFC et l’un des principaux auteurs du rapport, il faut investir dans de meilleures infrastructures de télécommunications afin d’améliorer la couverture des services et leur accessibilité financière, réduire les droits de douane sur les biens numériques et encourager le développement de start-up et de technologies de rupture afin de surmonter les contraintes liées au marché, aux coûts et à la maîtrise du numérique.
« L’Afrique est prête pour une transformation numérique. Pour ce faire, il est indispensable de mobiliser les investissements du secteur privé et de faire en sorte que les entreprises disposent de financements pour se doter d’équipements numériques et de logiciels et les start-up technologiques innovantes de capitaux pour fournir des solutions à un coût plus abordable », assure Marcio Cruz.
Et de poursuivre : « Il est également indispensable de former les travailleurs et les entrepreneurs pour qu’ils acquièrent des compétences digitales de base et de gestion. Même si, dans des pays comme le Malawi, il faut encore améliorer l’accès à la technologie, nos travaux montrent que nous devons nous concentrer sur les opportunités d’investissement qu’offre une utilisation productive de ces outils par les entreprises, pour faire en sorte qu’ils jouent pleinement leur rôle de moteur de la productivité et de l’emploi. »




Si la diffusion d’internet, de la téléphonie mobile et des paiements numériques a été rapide en Afrique, un rapport d’IFC montre que cet essor ne s’est pas traduit par des usages généralisés et plus productifs en mesure de doper la réussite des entreprises.
Si la diffusion d’internet, de la téléphonie mobile et des paiements numériques a été rapide en Afrique, un rapport d’IFC montre que cet essor ne s’est pas traduit par des usages généralisés et plus productifs en mesure de doper la réussite des entreprises.

En début de soirée, des navetteurs traversent un pont dans Area Two, un quartier commerçant animé de Lilongwe, la capitale du Malawi.
En début de soirée, des navetteurs traversent un pont dans Area Two, un quartier commerçant animé de Lilongwe, la capitale du Malawi.

Grâce à la West Indian Ocean Cable Company (WIOCC), un client d'IFC, une part importante de la capacité numérique qui arrive au Malawi passe par l'infrastructure de la WIOCC.
Grâce à la West Indian Ocean Cable Company (WIOCC), un client d'IFC, une part importante de la capacité numérique qui arrive au Malawi passe par l'infrastructure de la WIOCC.

Bien qu’il soit possible d'assurer la connectivité dans la majeure partie du pays grâce à un réseau fibre longue distance de près de 4 000 kilomètres, le prix élevé des smartphones reste l’un des plus grands freins à l’expansion de l’accès internet pour les petites entreprises.
Bien qu’il soit possible d'assurer la connectivité dans la majeure partie du pays grâce à un réseau fibre longue distance de près de 4 000 kilomètres, le prix élevé des smartphones reste l’un des plus grands freins à l’expansion de l’accès internet pour les petites entreprises.
Créer un environnement propice au succès numérique

Sur le toit en fibre de verre du Gateway Mall, le plus grand centre commercial de Lilongwe, trois techniciens munis de casques de sécurité blancs et de combinaisons bleu marine déroulent de grandes bobines de câble sous une lumière de plein après-midi. Ils sont employés par inq. Digital, le plus grand fournisseur de services internet du Malawi, pionnier depuis 2004 de la transition du pays vers la connectivité numérique.
Le technicien en chef, Nickson Foster, explique que son équipe est en train d’installer 21 nouveaux routeurs qui permettront d’offrir des points d’accès internet dans tout le centre commercial avec un débit de 200 mégabits par seconde (Mb/s), contre 50 actuellement.

Nickson Foster, technicien en chef, inq. Digital
Nickson Foster, technicien en chef, inq. Digital
Si l’entreprise inq. Digital est en mesure d'étendre son réseau à travers le pays, c'est grâce à la West Indian Ocean Cable Company (WIOCC), un client d’IFC et leader dans le déploiement d’infrastructures de réseau pérennes en Afrique. Présente sur le marché de gros uniquement, la WIOCC a posé plus de 200 000 kilomètres de câbles sous-marins, 75 000 kilomètres de câbles terrestres et installé 30 centres de données en Afrique. La compagnie a ainsi révolutionné la connectivité entre le continent et le reste du monde. Au Malawi, une part importante de la capacité numérique qui entre dans le pays provient des infrastructures développées par la WIOCC.
Alors que les clients et les commerçants du Gateway Mall vont bénéficier de services haut débit, seuls 24 % des Malawiens — des citadins principalement — ont accès à internet en raison du manque d’infrastructures du kilomètre intermédiaire et du dernier kilomètre. Les autorités s'efforcent de combler ces lacunes avec le programme pour le développement numérique du Malawi, mené en partenariat avec le Groupe de la Banque mondiale. Cette initiative contribue à la construction d’un centre de données national à Lilongwe et à l’installation de câbles en fibre optique haut débit qui permettront de fournir un accès internet fiable à plus de 500 hôpitaux, écoles primaires et établissements secondaires dans tout le pays.
En octobre 2022, le Malawi est devenu le cinquième pays africain à signer un accord de licence avec Starlink, le service d'accès à internet par satellite de l’entreprise SpaceX, ce qui a permis d'améliorer la connectivité dans les zones difficiles d’accès. Le gouvernement a par ailleurs réduit les taxes sur les appareils importés, afin de rendre leur prix plus abordable.
En octobre 2022, le Malawi est devenu le cinquième pays africain à signer un accord de licence avec Starlink, le service d'accès à internet par satellite de l’entreprise SpaceX, ce qui a permis d'améliorer la connectivité dans les zones difficiles d’accès. Le gouvernement a par ailleurs réduit les taxes sur les appareils importés, afin de rendre leur prix plus abordable.
Dans une petite boutique toute proche, une commerçante s’en remet à un téléphone mobile, une calculatrice et un cahier de compte. Ses clients règlent leurs achats en liquide ou via leur téléphone portable. Les machines de paiement sans contact sont trop onéreuses, surtout compte tenu des frais d’utilisation mensuels. Il en va de même pour les connexions internet, ajoute la commerçante (qui a demandé à ne pas être nommée).
Alors que le coût de l’internet reste élevé pour de nombreux usagers du Malawi, les prix ont dégringolé ces dernières années, observe Limbika Kanjadza, PDG d’inq. Digital : « Il y a cinq ans, le prix d’un mégaoctet était de 250 dollars. Aujourd’hui, nous le vendons pour moins de 40 dollars. »
Parce que leur pays est enclavé et que le trafic internet doit transiter par les pays voisins (Mozambique, Tanzanie et Zambie), les Malawiens sont confrontés à des coûts de connexion élevés. Le gouvernement mène cependant des négociations pour faire baisser ces coûts et a signé un accord l’année dernière avec la Zambie pour réduire les prix des données mobiles.
En outre, bien qu’il soit possible d'assurer la connectivité dans la majeure partie du pays grâce à un réseau fibre longue distance de près de 4 000 kilomètres, le prix élevé des smartphones reste l’un des plus grands freins à l’expansion de l’accès internet pour les petites entreprises. Les compagnies de télécommunications et les autorités de régulation cherchent actuellement à y remédier.While it is possible to secure connectivity throughout most of Malawi -- thanks to almost 4,000 kms of long-distance internet fiber laid across the country -- the high price of smartphones remains one of the biggest challenges to expanding internet access for small businesses. But telecoms companies and regulators are looking to change that.
« L’accès à internet est un droit humain », souligne Limbika Kanjadza. « Les organismes réglementaires du Malawi s’attellent à faire en sorte que chaque habitant, même dans les villages reculés, puisse être connecté. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. »



Abas et Fatima : Comment le passage au numérique peut renforcer les entreprises africaines
Vidéo : Marty Berg/IFC
« L’accès à internet est un droit humain. »
Donner un coup de pouce aux start-up numériques

Dans un bâtiment en briques rouges de Lilongwe, à l’ombre de manguiers luxuriants, Bram Fudzulani ouvre la porte d’un bureau. À l’intérieur, plusieurs ingénieurs testent sur leur ordinateur portable une application logicielle qui pourrait aider les petites entreprises du Malawi à améliorer leurs opérations financières.
Bram Fudzulani est le cofondateur et directeur commercial d’Angle Dimension, une start-up de développement logiciel spécialisée dans les technologies financières innovantes. Parmi les plus grandes réussites de la jeune pousse, il cite l’application pour smartphone Khusa, qui permet aux coopératives agricoles féminines de numériser — et protéger — leurs revenus. Auparavant, les femmes rassemblaient leurs gains dans un panier propice aux vols. Désormais, la dirigeante de la coopérative passe par cette application pour déposer l'argent gagné sur un compte, contribuant ainsi à améliorer les notations de crédit de toutes les participantes.
Bram Fudzulani, cofondateur et directeur commercial d’Angle Dimension (vidéo en anglais)
Dans un pays où 80 % de la population vit en milieu rural et principalement de la petite agriculture, le manque de maîtrise du numérique constitue un obstacle à l’adoption des nouvelles technologies. Selon Bram Fudzulani, des solutions fintech faciles d’emploi comme l’appli Khusa peuvent véritablement transformer et améliorer la vie au quotidien.
Il a fondé Angle Dimension en 2016 avec trois autres collaborateurs, après avoir pris conscience du manque de services et produits logiciels développés localement. Les aides publiques en faveur des start-up étant limitées, les entrepreneurs ont dû mettre en commun des ressources et s’autofinancer.
« Nous étions très ambitieux à l’époque et nous nous sommes dit : “Investissons cet espace et créons quelque chose qui pourrait réellement fonctionner pour ce segment” », se souvient Bram Fudzulani. « Ce que nous ignorions, c’est qu’il faudrait pour cela beaucoup d’argent. »
L’écosystème des start-up numériques en Afrique est l’un des plus dynamiques au monde, avec une augmentation de 700 % des transactions financières entre 2015 et 2022. Un soutien plus marqué en faveur des jeunes pousses technologiques, sous forme de subventions et de capital-risque, en particulier dans les secteurs à fort impact tels que l'agrotechnologie ou les technologies de la santé et de l'éducation, pourrait aider les start-up numériques à surmonter les obstacles financiers que constituent les taux d'intérêt élevés et l'absence de garanties. Au Malawi, la barrière du financement reste un problème majeur, regrette Bram Fudzulani :
« Plusieurs start-up porteuses d’idées brillantes ne survivent pas faute de financements. Si elles avaient pu bénéficier de financements appropriés, elles auraient pu booster les innovations technologiques et, par un effet d’entraînement, en faire profiter les PME. »


Le Malawi à l’aube de la transformation numérique

À l’autre bout de Lilongwe, à plusieurs kilomètres du siège d’Angle Dimension, l’activité bouillonne ce vendredi matin dans les bureaux de mHub, le premier lieu dédié à la technologie et à l’innovation du Malawi. Située dans un bâtiment clair et spacieux, vitré du sol au plafond, avec des poufs confortables et des postes de travail cloisonnés, cette plateforme fait partie d'un ensemble d'initiatives visant à renforcer la culture numérique dans le pays et à former une main-d’œuvre rompue aux nouvelles technologies.
Lors d'un évènement coorganisé avec Mzuzu E-Hub, une organisation située dans le nord du pays et qui se consacre au développement des entreprises technologiques, les chefs de file locaux du numérique dressent un état des lieux de la connectivité et de l’entrepreneuriat tech au Malawi.
Si l’optimisme est de mise quant à l’avenir numérique du pays, un enjeu fait l'unanimité chez tous les participants : la nécessité de renforcer sans tarder les compétences numériques de sa population, tous âges confondus.While optimism reigns about Malawi’s digital future, all participants agree on one indisputable challenge: the need to rapidly scale up digital literacy skills for Malawians of all ages.
« La sensibilisation à la question de l’éducation est vraiment vitale pour accélérer la numérisation au Malawi », assure Takuya Kitazawa, conseiller TIC au Mzuzu E-Hub, en soulignant que toute innovation numérique au Malawi doit d’abord résoudre le nœud de difficultés liées à la disponibilité des appareils et des réseaux, mais aussi des formations.

Takuya Kitazawa, conseiller TIC au Mzuzu E-Hub,
Takuya Kitazawa, conseiller TIC au Mzuzu E-Hub,
« Sans alphabétisation, on ne peut pas concevoir comment exploiter la technologie au sein des entreprises », explique-t-il.
Alors que plus de la moitié de la population du pays a moins de 18 ans, ces organisations font le pari que les jeunes seront les meneurs de la prochaine révolution numérique.
Des cours d’informatique de base à des formations plus avancées en programmation, robotique et intelligence artificielle, mHub a formé plus de 40 000 jeunes à travers le Malawi, contribuant à la création de près d’un millier d’emplois.
Selon son PDG, Elijah Lumbani, l’objectif est double : il s’agit, d’une part, d’aider des chefs d’entreprise comme la pharmacienne Harriet Bwanali à réaliser leur plein potentiel grâce à la technologie et, d’autre part, de développer un esprit d’entreprise qui encourage les jeunes Malawiens à nourrir des ambitions numériques.
Elijah Lumbani, PDG de mHub (vidéo en anglais)
Et d'espérer qu’un jour « mHub favorisera l’éclosion de jeunes talents qui développeront une solution numérique locale utilisable par tous et tout le temps, à l’instar de Facebook ou WhatsApp. ».
Le rapport d’IFC montre clairement que les entreprises africaines n’ont pas encore exploité toute la puissance des technologies numériques, conclut Marcio Cruz. Au Malawi, tout sera possible dès lors que les petites entreprises auront accès à une connexion internet fiable et abordable et à une main-d’œuvre formée au numérique, assure Vincent Kumwenda, ancien PDG de mHub qui travaille actuellement pour le Tony Blair Institute for Global Change.
Selon lui, « le Malawi est un géant endormi qui dispose d’un vaste potentiel entrepreneurial et d'innovation. C’est le moment idéal aujourd’hui pour être au Malawi. »
Publié en mai 2024

