Financements en monnaie locale en
Afrique
Anticiper les risques, stimuler les investissements

Améliorer l'accessibilité de financements en monnaie nationale est une priorité pour IFC en Afrique afin de protéger les entreprises des fluctuations du marché des changes et créer des opportunités d'investissement.
- La volatilité des marchés des changes constitue un risque important pour les entreprises africaines, en particulier si elles empruntent dans des devises fortes.
- IFC soutient l’investissement privé durable en Afrique en fournissant des solutions de financement en monnaie locale et en aidant à développer les marchés des capitaux locaux.
- Le financement en monnaie locale ne protège pas seulement les entreprises contre les risques, c’est aussi un catalyseur d'investissements.

Ces trois dernières années, le cedi ghanéen a perdu plus de la moitié de sa valeur par rapport au dollar.
Alors, quand Accra Medical Centre (AMC), un prestataire de soins de santé implanté dans la capitale du Ghana, a entamé des discussions avec IFC sur des solutions de financement, ses dirigeants ont été clairs : ils voulaient emprunter en monnaie nationale.
« C'était le premier point à l'ordre du jour », explique Moses Clocuh, cofondateur et directeur d'Accra Medical Centre, qui a signé un prêt en cedis équivalent à 5,7 millions de dollars avec IFC en mars 2023 afin de développer et moderniser ses activités.
« Comme la plus grande part de notre chiffre d'affaires est en cedis, nous savions que toute dette en devise étrangère pourrait être fatale à nos opérations et à notre viabilité financière. Le cedi ayant continué à se dévaluer depuis l'accord de financement, ce crédit en monnaie nationale se révèle très avantageux d'un point de vue stratégique. »
Le problème de la fluctuation des taux de change ne concerne pas que le Ghana. Les conséquences de la pandémie de COVID-19, l'invasion de l'Ukraine par la Russie et la hausse généralisée des taux d'intérêt ont eu un impact majeur sur les économies d’Afrique et d’ailleurs, plombées par l'inflation et les dépréciations monétaires.
En 2023, de grandes économies africaines, dont le Nigéria, le Kenya et la Zambie, ont vu leur monnaie perdre plus de 10 % par rapport au dollar, entraînant une hausse du coût des importations et rendant l'emprunt en devises étrangères prohibitif pour bon nombre d'entreprises locales.
« La demande de financements en monnaie locale est en hausse en Afrique, car il s'agit de la meilleure stratégie pour de nombreuses entreprises, en particulier celles dont les revenus sont en monnaie locale, pour protéger leurs investissements du risque de change », explique Sérgio Pimenta, vice-président régional d’IFC pour l'Afrique.
« Cela reflète également l’élan actuel du continent vers l'intégration économique régionale et le développement de l'Afrique par l'Afrique. C'est pourquoi accélérer le déploiement de ressources en monnaie locale est l'une de nos priorités dans la région », ajoute-t-il.

Accra Medical Centre, au Ghana
Accra Medical Centre, au Ghana
Des risques de change prohibitifs
Les prêts accordés par les institutions financières de développement (IFD) aux entreprises africaines et à celles d'autres économies émergentes ont historiquement été libellés en monnaies dites « fortes », notamment le dollar et l'euro.
Quand les taux de change des monnaies locales restent relativement stables, le risque d'emprunter en devises fortes est limité. En revanche, en période de volatilité et d'incertitude comme l'économie mondiale en a connu récemment, les taux peuvent fluctuer considérablement et les risques de change peuvent devenir trop lourds à supporter pour les emprunteurs.
En outre, dans certains pays, la difficulté de convertir la monnaie nationale en devises étrangères — en raison de procédures administratives longues et complexes et d'une pénurie de devises fortes — est un autre obstacle majeur qui nuit aux affaires.
Conscientes de l'importance croissante des prêts en monnaie locale et de la demande en la matière, les institutions de développement ont redoublé d'efforts pour en proposer.
Par exemple, en 2007, The Currency Exchange Fund (TCX) a été créé dans le but de proposer des swaps et des contrats à terme de devises à long terme sur des marchés où ces produits ne sont pas disponibles ou inaccessibles. Cette initiative mondiale de financement du développement compte parmi ses investisseurs plusieurs IFD (dont IFC), des véhicules d'investissement en microfinance (VIM), les gouvernements des Pays-Bas, de l'Allemagne, de la Suisse, du Royaume-Uni et de la France ainsi que la Commission européenne.
En 2022, le fonds TCX a fourni des solutions de réduction des risques dans 43 monnaies locales, pour un montant total de 1,38 milliard de dollars de nouveaux prêts en faveur de pays émergents et autres marchés frontières, dont 337 millions de dollars en Afrique.

Un catalyseur d'investissements
Dans le même temps, IFC a renforcé ses propres activités dans ce domaine.
Au cours de la dernière décennie, ses engagements ont atteint près de 32 milliards de dollars dans plus de 70 monnaies à travers le monde. En moyenne, environ un quart des crédits à long terme accordés par IFC dans le monde l'ont été en monnaie nationale.
Ce montant comprend 3,6 milliards de dollars d'engagements dans 25 monnaies africaines, dont le franc CFA en Afrique de l'Ouest et centrale, le naira au Nigéria, le kwacha en Zambie et l'ariary à Madagascar.
L'action d'IFC est soutenue par le Mécanisme de financement en monnaie nationale (LCF) du Groupe de la Banque mondiale. Lancé en 2017 dans le cadre du guichet pour la promotion du secteur privé (PSW) de l'Association internationale de développement (IDA), le LCF agit comme une contrepartie de couverture interne pour permettre à IFC de fournir des financements en monnaie locale dans les pays éligibles à l'aide de l'IDA, où les marchés de capitaux ne sont pas développés et où les solutions de marché ne sont pas suffisamment disponibles.
Sachant que plus de la moitié des 75 pays emprunteurs de l'IDA se trouvent en Afrique, le LCF est largement intervenu sur ce continent : depuis son lancement, le mécanisme a soutenu 45 investissements d'IFC — principalement des prêts et des obligations — pour un total de près de 600 millions de dollars dans neuf monnaies africaines.
« Le financement en monnaie locale ne protège pas seulement les entreprises contre les risques, c’est aussi un catalyseur d'investissements », souligne Thibaut Foucher, chargé d’investissement senior au bureau d'IFC à Nairobi, qui a piloté plusieurs transactions en monnaie nationale sur le continent.
« Si, à l'image d'IFC, vous êtes en mesure de fournir des montants importants et à long terme en monnaie nationale, ce qui est très difficile à trouver sur les marchés locaux africains, vous contribuez à lever un obstacle majeur à l'investissement dans la région. »


Sérgio Pimenta, vice-président régional d'IFC pour l'Afrique, rencontre des délégués du groupe Baobab, au Sénégal. Photo : Malick El Madiop Faye.
Sérgio Pimenta, vice-président régional d'IFC pour l'Afrique, rencontre des délégués du groupe Baobab, au Sénégal. Photo : Malick El Madiop Faye.

Une agence de Baobab à Saint-Louis, au Sénégal. Photo : Sidy Talla
Une agence de Baobab à Saint-Louis, au Sénégal. Photo : Sidy Talla
Des financements de long terme
Les investissements en monnaie locale d'IFC en Afrique consistent en des solutions de financement à long terme destinées à des entreprises ou des institutions financières : prêts, swaps et produits financiers structurés tels que des garanties de crédit partielles et des mécanismes de partage des risques.
Ces produits contribuent à répondre aux besoins des organisations de taille moyenne telles qu'Accra Medical Centre au Ghana, ainsi qu'à ceux des grandes entreprises multinationales qui cherchent à protéger leurs activités contre les risques macroéconomiques.
Parmi les opérations récentes d'IFC, citons un prêt de 4,5 milliards de rands (236 millions de dollars) pour aider Absa Bank à élargir son portefeuille de financements dans la construction écologique en Afrique du Sud ; un mécanisme de partage des risques équivalant à 77 millions de dollars en faveur du groupe Bank of Africa afin de faciliter l'accès au financement des petites entreprises dans dix pays africains ; et un prêt multidevises de 224 millions de dollars à sept filiales africaines de l'opérateur de télécommunications Airtel pour connecter des millions de personnes à l'internet mobile en RDC, au Kenya, à Madagascar, au Niger, en République du Congo, en Zambie et au Tchad.
Un financement en monnaie locale signifie également moins de tracasseries administratives, comme l'explique Serigne Bamba Mbacke Diop, directeur général adjoint de la branche sénégalaise de Baobab Group. Cette institution de microfinance a signé un accord de prêt multidevises de 47,5 millions de dollars avec IFC en 2023 afin d’augmenter l’offre de financements pour les petites entreprises et les sociétés détenues par des femmes au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire, en RDC, à Madagascar, au Mali et au Sénégal.
« Pour nous, il n'y a que des avantages à obtenir des financements en monnaie nationale », explique M. Diop. « Au-delà du risque de change, il est tout simplement plus facile de faire des affaires en monnaie locale. C'est plus rapide, il y a moins de paperasserie et vous avez davantage de visibilité sur le processus. Vous le contrôlez et c'est plus productif. »
« L'immobilier est une classe d'actifs de long terme, il est donc important pour nous d'avoir des échéances de dette qui correspondent au profil de génération de liquidités de notre activité. Cela nous aide à prendre des décisions à plus long terme, notamment en ce qui concerne la décarbonation de notre portefeuille. »

Développer les marchés financiers locaux
Bien entendu, il est également possible d'obtenir un financement en monnaie nationale sur le marché local. Les banques et les marchés des capitaux locaux, que ce soit au Ghana, au Kenya, au Sénégal ou en Afrique du Sud, sont des fournisseurs essentiels de financements pour les entreprises locales, ce qui contribue à les protéger de la volatilité des devises.
Dans la mesure du possible, IFC soutient le développement de marchés financiers locaux en Afrique en agissant dans trois domaines : à titre de conseil, conjointement avec la Banque mondiale et d'autres partenaires clés, en travaillant avec les gouvernements et les régulateurs pour promouvoir des réformes et des politiques clés ; à titre d'investisseur, en soutenant de nouvelles émissions d'obligations par des clients du secteur privé ; et à titre d'émetteur, en lançant des obligations d’IFC sur les marchés locaux afin de lever des fonds en monnaie nationale pour ses propres prêts en monnaie locale, tout en réalisant, en guise de démonstration, des transactions qui peuvent encourager d'autres émetteurs à suivre son exemple. Le travail du Programme conjoint de développement des marchés financiers (J-CAP) du Groupe de la Banque mondiale, déployé dans plusieurs pays, est un exemple de cette approche à multiples facettes.
Au cours de la dernière décennie, IFC a émis des obligations en monnaie nationale au Botswana, au Rwanda, en Afrique du Sud, en Namibie, au Nigéria et en Zambie. Ainsi, en 2023, IFC a émis deux obligations libellées en kwacha zambien sur le marché local afin de trouver des financements pour son programme d'investissement en monnaie nationale dans le pays.
Sur la même période, IFC a investi dans près de 20 émissions obligataires et opérations de titrisation en monnaie locale. Dans le cadre de ces transactions, comme la première titrisation de Sonatel au Sénégal en janvier 2024 ou la première obligation en faveur de l'autonomisation des femmes en Afrique subsaharienne émise par la banque tanzanienne NMB en avril 2022, IFC joue le rôle d'investisseur de référence en souscrivant à une part importante de l'obligation pour inspirer confiance aux autres investisseurs.
« En associant notre nom et notre réputation internationale à une émission obligataire, nous favorisons des transactions innovantes et fructueuses qui permettent aux entreprises de se financer en monnaie locale sur les marchés financiers et aux investisseurs de diversifier leurs portefeuilles », explique Martin Habel, responsable de la division Solutions de trésorerie d'IFC pour l’Afrique, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie centrale.
En Afrique du Sud, par exemple, IFC a investi 750 millions de rands (environ 39 millions de dollars) dans une obligation verte émise en septembre 2022 par Redefine Properties Ltd, le deuxième fonds d'investissement immobilier du pays, afin de soutenir la décarbonation de ses immeubles qui abritent plus de 4 000 locataires.
Selon Ntobeko Nyawo, directeur financier de Redefine, le rôle d'IFC en tant qu'investisseur de référence a été déterminant pour le succès de l'émission obligataire, car il a permis de mobiliser 750 millions de rands supplémentaires auprès d'autres investisseurs. Le soutien d'IFC a également permis à la société de lever des fonds en monnaie nationale sur des durées de sept et dix ans, contribuant ainsi à faire évoluer le marché local qui était largement caractérisé par des échéances plus courtes, de trois et cinq ans.
« L'immobilier est une classe d'actifs de long terme, il est donc important pour nous d'avoir des échéances de dette qui correspondent au profil de génération de liquidités de notre activité. Cela nous aide à prendre des décisions à plus long terme, notamment en ce qui concerne la décarbonation de notre portefeuille », explique M. Nyawo.
« La présence d'un investisseur de référence jouissant d'une grande crédibilité comme IFC a réellement façonné et créé une dynamique intéressante sur notre marché. Les investisseurs institutionnels ont suivi le mouvement lancé par IFC et nous nous en félicitons, car c'est un type de capital qui, à nos yeux, permet de créer de la valeur dans notre activité. »
Publié en avril 2024


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