Accélérer la marche du numérique : Portrait de cinq jeunes leaders de la transformation technologique au Malawi

Wangiwe, Sithembile, Kelvin, Daniel et Bright : ces cinq jeunes sont les piliers d’une communauté technologique en plein essor au Malawi et les représentants d’un monde hyperconnecté que les générations précédentes n’auraient jamais pu imaginer. Biberonnés à l’internet et au téléphone portable, ils exploitent la technologie pour contribuer à la construction d’un avenir plus prometteur et prospère, pour eux-mêmes, mais aussi pour des millions d’autres jeunes à travers le pays.

Comme le montre un nouveau rapport d’IFC, intitulé Digital Opportunities in African Businesses (« Opportunités du numérique dans les entreprises africaines »), les start-up numériques du continent forment un écosystème encore embryonnaire mais qui est l’un des plus dynamiques au monde, avec un nombre de transactions multiplié par sept entre 2015 et 2022. Alors que 60 % des entreprises technologiques en Afrique ont moins de 10 ans, comme ailleurs dans le monde, les plus jeunes pousses sont plus innovantes que leurs aînées. Pour attirer les talents de haut niveau et encourager l’esprit d’entreprise, le rapport préconise d’aider les entrepreneurs de la tech à développer et adapter les technologies numériques en tenant compte du contexte local. 

Alors que des millions de petites entreprises en Afrique sont à l’aube d’une transformation numérique, ces cinq ouvreurs de voies sont prêts à tendre la main aux jeunes Malawiens qui s'engagent dans leur sillon, forts de leur expertise technologique, de leur sens de l’innovation et de leur dynamisme. 

Wangiwe Kambuzi, fondatrice et directrice générale, Mzuzu E-Hub

En 2016, Wangiwe Kambuzi prend la décision de quitter un emploi sûr dans la banque pour poursuivre son rêve : créer son entreprise d’évènementiel. L'expérience se révèle difficile, faute de ressources et d'accompagnement pour les jeunes entrepreneurs. « Je me posais des questions comme : pourquoi est-il si difficile de naviguer dans les méandres de l’entrepreneuriat ? où puis-je trouver des ressources ? qui sont les acteurs de ce système ? », se souvient la jeune femme. « J'ai eu beaucoup de mal à trouver la plateforme dont j'avais besoin. »

Mais cette expérience sera formatrice et Wangiwe Kambuzi décide de changer de cap. En 2017, elle lance Mzuzu E-Hub, une organisation qui fournit des services de soutien au développement des entreprises. Basée à Mzuzu, dans le nord du Malawi, cette structure aide les jeunes entrepreneurs à faire mûrir et monter leur projet. Aujourd’hui, à 33 ans, après avoir soutenu plus de 430 entrepreneurs en herbe, Wangiwe Kambuzi est parvenue à débrider le potentiel de toute une communauté de nouveaux chefs d’entreprise.

L’une des pierres angulaires de la mission de Mzuzu E-Hub est de faciliter l’intégration technologique et numérique. C’est essentiel dans un pays où le taux de chômage chez les jeunes est élevé, souligne l’entrepreneure. « Beaucoup de jeunes attendent que quelqu’un vienne résoudre leurs problèmes. Ils n’ont pas accès à une palette de possibilités et de compétences qui leur donneraient les moyens d’agir », explique-t-elle, en ajoutant que Mzuzu E-Hub a déjà formé plus de 5 000 clients parmi la population locale. « Nous sommes ici pour ça. »

L’ancrage de Mzuzu E-Hub dans le contexte local du Malawi a joué un rôle crucial dans le succès de l’organisation, observe Wangiwe Kambuzi : « Les solutions ne doivent pas venir d'ailleurs. Il faut au contraire qu'elles soient développées localement, déployées à plus grande échelle et pérennisées pour venir en aide à tous. »

Autre axe fondateur de son action : promouvoir des jeunes femmes qui nourrissent comme elle des ambitions entrepreneuriales. « Ce nouvel écosystème fait preuve d’une volonté plus explicite de soutenir les femmes entrepreneures », dit-elle. « C’est le moment de commencer à faire bouger les choses au Malawi. »

« Les solutions ne doivent pas venir d'ailleurs. Il faut au contraire qu'elles soient développées localement, déployées à plus grande échelle et pérennisées pour venir en aide à tous. »
Wangiwe Kambuzi, fondatrice et directrice générale, Mzuzu E-Hub

Sithembile Banda, cheffe de programme, et Kelvin Mateyu, responsable du développement commercial, Nxtgen Labs

Sithembile Banda, qui se définit elle-même comme une « nerd », n’aurait jamais pensé qu’elle décrocherait un emploi de rêve au service de l’innovation numérique au Malawi. Un an à peine après avoir obtenu son diplôme, la voilà à 24 ans qui aide d’autres jeunes à concevoir de nouvelles solutions technologiques au sein de Nxtgen Labs, un laboratoire de programmation et de robotique basé à Lilongwe, où elle travaille comme cheffe de programme. 

« Quand j’étais à l’université, je n’avais aucune idée de l’écosystème technologique au Malawi », explique la jeune femme. « Je pensais que le pays était archaïque et qu’il ne s’y passait pas grand-chose. » 

À 24 ans, Sithembile Banda supervise l’un des programmes éducatifs de Nxtgen Labs, qui est destiné aux élèves du primaire et du secondaire dans tout le Malawi. Grâce au financement et à la collaboration de Save the Children, les enfants apprennent à dessiner sur des applications numériques, à coder et à créer des jeux informatiques. 

L’objectif n’est pas seulement d’encourager les enfants à s’exprimer à travers l’art numérique, mais aussi d’ouvrir les jeunes esprits aux métiers du jeu vidéo et de l’animation. 

« Comme nous n’avons pas d’industrie du développement de jeux au Malawi, il s’agit aussi avec ce programme de créer de toutes pièces un nouveau secteur d'activité », explique Kelvin Mateyu, responsable du développement commercial chez Nxtgen Labs. Également romancier, le jeune homme de 27 ans enseigne l'écriture créative dans le cadre du programme d’art numérique proposé par le laboratoire.

Nxtgen a par ailleurs mis en place un dispositif d’incubation, baptisé « Zantchito », qui accompagne actuellement le développement de 88 innovations technologiques visant à trouver des solutions aux grands défis du Malawi en matière de développement, de changement climatique et d’inclusion. Âgés de 18 à 35 ans, les participants au programme planchent sur des innovations aussi variées que des appareils de cuisson solaires, des aliments pour animaux de compagnie et des planches à roulettes.

Grâce au projet Future-M, mené en partenariat avec Save the Children, un lycéen de 18 ans qui n’avait auparavant jamais touché à la programmation a mis au point un système d’alerte précoce contre les inondations. Kelvin Mateyu cite aussi, dans le cadre du même programme, le développement d’un logiciel conçu pour favoriser la progression scolaire des enfants malvoyants.

Pour les deux collègues de Nxtgen Labs, l’ensemble de ces innovations pourraient véritablement changer la donne économique au Malawi, en particulier sur le plan de la croissance du marché d’exportation. 

Sithembile Banda est confiante : « Grâce aux innovations et aux ressources auxquelles les jeunes sont initiés très tôt, je pense que le Malawi va connaître une prodigieuse croissance technologique au cours des cinq prochaines années. » 

« Grâce aux innovations et aux ressources auxquelles les jeunes sont initiés très tôt, je pense que le Malawi va connaître une prodigieuse croissance technologique au cours des cinq prochaines années. »
Sithembile Banda, cheffe de programme, Nxtgen Labs

Daniel Mualo, responsable technique et développement, mHub

Quand il était enfant, à Lilongwe, Daniel Mualo jouait beaucoup à FIFA, le jeu vidéo sans doute le plus populaire au monde. Sa passion pour l’informatique n’a cessé de grandir avec le temps et aujourd’hui, à 30 ans, il la met au service des jeunes de son pays en les aidant à exploiter le potentiel des nouvelles technologies et construire un avenir meilleur.

En tant que responsable technique et développement de mHub, le premier lieu dédié à la technologie et à l’innovation du Malawi, Daniel Mualo supervise les activités de programmation et contribue au développement de solutions technologiques en interne. mHub a déjà développé des applications logicielles dans divers domaines : surveillance des élections, participation citoyenne, archivage, commerce électronique et droits de l’homme.

Convaincu que la technologie peut permettre de résoudre certains des plus grands problèmes auxquels est confronté son pays, Daniel Mualo est particulièrement sensible à l’impact de mHub auprès des jeunes de la capitale, Lilongwe, et des zones rurales.

« On assiste, dans tout le Malawi, à un essor phénoménal des technologies liées aux paiements mobiles, porte-monnaies électroniques et autres outils financiers numériques », explique le codeur. « Il est urgent que les gens adoptent les nouvelles technologies même s’ils ne sont pas familiers avec l’utilisation de ce genre d’instruments. »

Des « Jeudis de la robotique » à « L'aventure geek » — des rencontres informelles proposées aux jeunes développeurs du pays — Daniel Mualo dirige une communauté dynamique de technophiles branchés sur la même longueur d’onde. Organisées une fois par semaine dans les locaux de mHub à Lilongwe, ces discussions se penchent sur les réussites et les difficultés de la programmation. Autour de ces rencontres, des jeunes de 8 à 16 ans participent à des ateliers de robotique, d’IA et de codage.

En voyant des jeunes s’attaquer aux affres de la programmation, Daniel Mualo se remémore la curiosité qui l’animait quand, petit garçon, il cherchait à perfectionner les jeux vidéo qu’il aimait tant : « J’étais frustré par le manque de fluidité des jeux qui tournaient sur mon ordinateur. Je voulais ajouter des lignes de code et des statistiques pour améliorer le jeu. »

Aujourd’hui, l’enfant devenu grand a mis sa propension à la résolution de problèmes au service de la mission de mHub : former une communauté de jeunes Malawiens sensibilisés à la technologie.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Nous avons initié au codage plus de 4 000 enfants, dont la moitié de filles », se réjouit Daniel Mualo. « Nous avons également permis à plus de 4 000 jeunes défavorisés d’acquérir des compétences numériques. »

« Nous avons initié au codage plus de 4 000 enfants, dont la moitié de filles. Nous avons également permis à plus de 4 000 jeunes défavorisés d’acquérir des compétences numériques. »
Daniel Mualo, responsable technique et développement, mHub

Bright Chidzumeni, responsable des innovations, Save the Children

Permettre aux jeunes de prendre les manettes pour résoudre les difficultés auxquelles ils sont confrontés : c’est, selon Bright Chidzumeni, la clé d’un engagement réussi auprès de la jeunesse.

C’est pourquoi le jeune homme de 31 ans, responsable des innovations pour Save the Children à Lilongwe, a lancé avec ses collègues un hackathon. L’objectif ? Inciter les jeunes Malawiens à s’emparer des outils de la programmation, du codage et du développement de logiciels pour apporter des solutions numériques à des enjeux aussi divers que le changement climatique, la santé mentale ou la maltraitance.

« Nous avons compris que la meilleure façon d’aider les enfants et les jeunes du Malawi était de les encourager à élaborer leurs propres solutions », explique Bright Chidzumeni, en se félicitant de l’issue incroyable de cette initiative.

Et de citer un chatbot de santé mentale développé par une jeune femme qui, comme tant de jeunes à travers le monde, a souffert de dépression pendant la pandémie de COVID-19.  

« Il lui était difficile de trouver quelqu’un à qui se confier, ou tout simplement d’obtenir des informations de base », relate Bright Chidzumeni. « Alors elle a conçu cette interface qui permet de se connecter avec un téléphone, de faire part de ses difficultés et de recevoir un soutien psychologique et social. »

Le succès de cette solution numérique repose sur sa simplicité : il suffit d’avoir accès à WhatsApp — une application largement utilisée au Malawi — pour être ensuite connecté, via l’agent conversationnel, à un groupe de thérapeutes prêts à vous aider.

Le chatbot est encore en phase d'expérimentation, mais Bright Chidzumeni et Save the Children se sont déjà rapprochés du ministère de la Santé et d’un groupe de travail national sur la santé mentale pour discuter de la possibilité de l’adopter à l’échelle nationale.

En plus d’aider à faire mûrir des solutions numériques, Save the Children renforce également la maîtrise de ces nouveaux outils dans les zones rurales du Malawi, où vit 80 % de la population.

« Il y a une grande fracture numérique en milieu rural, avec des enfants qui n’ont jamais vu d’ordinateur », souligne Bright Chidzumeni. « Grâce à notre centre d’innovation rural, nous leur enseignons les compétences numériques de base. »

Le champion de l’innovation est convaincu que, pas à pas, un enfant après l’autre, la marche du numérique progresse : « Nous constatons déjà des effets positifs sur la vie de nombreux jeunes à travers le Malawi. »

Publié en mai 2024

« Nous avons compris que la meilleure façon d’aider les enfants et les jeunes du Malawi était de les encourager à élaborer leurs propres solutions. »
Bright Chidzumeni, responsable des innovations, Save the Children