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La formation, la clé pour ouvrir aux agricultrices de nouvelles perspectives et ambitions

mars 5, 2023

Daphna Berman

Euphrasie Nyirasafari est agricultrice dans le sud-ouest du Rwanda et elle n'avait jamais imaginé avoir une vocation de leader. D’un naturel calme et discret, elle endosse depuis longtemps d'autres rôles : épouse, mère, agricultrice et membre de la communauté. Mais les responsabilités de direction ne faisaient pas partie des rôles qu'elle avait envisagés, et encore moins qu'elle pensait pouvoir remplir un jour.

Tout a changé en 2019 lorsqu’un programme de formation a été mis en place dans son village. Pendant 24 mois, Euphrasie Nyirasafari s'est rendue, avec d'autres membres de sa coopérative agricole, dans la salle de réunion du village, non loin de la maison dans laquelle elle vit avec son mari et ses quatre enfants. Elle y a appris tout ce qu'il faut savoir, depuis les techniques de plantation et de traitement après récolte jusqu’à la négociation de contrats et à la comptabilité. Et lorsqu'il a fallu désigner une présidente pour le groupe d'épargne féminin que la coopérative a décidé de créer, le choix s’est porté sur elle.

« Cela a changé ma vie », confie-t-elle dans un entretien récent, avec dans ses mains les registres et le livre de comptes du groupe d'épargne.

Elle fait partie des quelque 40 000 agriculteurs qui ont suivi une formation dans le cadre d'un projet d'IFC et du Programme alimentaire mondial (PAM) visant à améliorer la productivité et la qualité globales des petites exploitations du Rwanda. Ce projet, qui a pris fin en 2022, était soutenu par le guichet Secteur privé du Programme mondial pour l'agriculture et la sécurité alimentaire (GAFSP). Les formateurs ont travaillé avec 145 coopératives d'agriculteurs à travers le pays, afin d'améliorer la gouvernance et la gestion financière, ainsi que les techniques agronomiques et la manutention post-récolte. Lancé en 2016, ce projet a également permis de créer plus de 700 groupes d'épargne féminins, mobilisant, selon les estimations, quelques 120 000 dollars de fonds grâce auxquels les agricultrices ont pu contracter des prêts auprès d'établissements financiers.

Pour Euphrasie Nyirasafari, le changement a été spectaculaire : Avec l'argent mis de côté par son groupe d'épargne, elle a acheté des semences de qualité supérieure, au lieu d'utiliser les restes des tiges de maïs de l'année précédente, ce qui lui a permis d’améliorer la qualité de la production, et d’engranger des revenus plus élevés au moment de la récolte. « J'ai appris que l'épargne ne se résume pas à ce qu'il reste : il faut faire des sacrifices pour atteindre ses objectifs », explique-t-elle.

Les membres de la coopérative Kora Ubeho, dans le sud du Rwanda, ayant reçu une formation afin d'améliorer la gouvernance et la gestion financière, ainsi que les techniques agronomiques et la manutention post-récolte.
Les membres de la coopérative Kora Ubeho, dans le sud du Rwanda, ayant reçu une formation afin d'améliorer la gouvernance et la gestion financière, ainsi que les techniques agronomiques et la manutention post-récolte. Crédit photo : Simeon Uwiringiyeyesu/IFC

L'agriculture occupe une place vitale dans l'économie du Rwanda, où elle représente 31 % du produit intérieur brut (PIB) et 70% des emplois. Mais ce secteur est dominé par les petites exploitations, qui représentent 75 % de la production agricole du pays, ce qui rend l'accès au marché particulièrement difficile pour les entreprises agroalimentaires locales. Les terres sont également rares : le Rwanda est l'un des pays les plus densément peuplés d'Afrique et les agriculteurs rwandais ne peuvent guère agrandir leurs exploitations. Pour assurer la sécurité alimentaire, il faut donc stimuler la production sur les parcelles existantes, ce qui n'est possible qu'avec des semences, des engrais et d'autres intrants de qualité, ainsi que de bonnes techniques agronomiques.

Grâce à la formation dispensée par le programme, les agriculteurs ont appris, par exemple, à bien espacer les semences et à abandonner des méthodes traditionnelles comme la culture intercalaire, qui consiste à faire pousser deux ou plusieurs cultures à proximité les unes des autres. Theogene Kwizera, diplômé du programme et président d'une coopérative comptant 2 000 membres à Nyaruguru, dans le sud du pays, explique que, depuis qu'il a suivi la formation, sa production a augmenté de plus de 200 %.

« Le projet est terminé, mais nous avons acquis les compétences nécessaires pour continuer à augmenter la production et les rendements », affirme-t-il. Grâce à une hausse de 30 % de ses revenus, il est en mesure de couvrir les frais de scolarité et les cotisations d'assurance maladie de ses cinq enfants, et, avec l'argent restant, il a entrepris de petits travaux d'amélioration de son habitation.

Le groupe d'épargne féminin utilise des coffres pour protéger l'argent de ses membres.
Le groupe d'épargne féminin utilise des coffres pour protéger l'argent de ses membres. Crédit photo : Simeon Uwiringiyeyesu/IFC

Au Rwanda, le maïs est la principale source d'alimentation et une culture essentielle pour les agriculteurs, mais il est généralement de mauvaise qualité, de sorte que de nombreux producteurs ne peuvent pas vendre leurs récoltes sur les marchés officiels. Une humidité importante, une saison sèche de courte durée et le manque de procédés mécaniques après récolte font que les niveaux d'aflatoxine, une substance cancérogène qui se développe dans les moisissures, sont particulièrement élevés. Invisible à l'œil nu — et en général non détectée par les agriculteurs — l'aflatoxine entraîne une immunosuppression et des problèmes de malnutrition chez les enfants, et elle est mortelle à haute dose. Grâce à la formation, les agriculteurs ont appris à prévenir le développement de cette substance. À l’instar de Theogene Kwizera, qui fait désormais sécher son maïs dans les arbres plutôt que sur le sol humide. « Avant la formation, je ne savais pas ce qu'était l'aflatoxine », confie-t-il.

Les défis auxquels sont confrontés les agriculteurs rwandais se sont multipliés ces dernières années. La pandémie de COVID-19 a compliqué l'accès aux intrants ou aux marchés pendant les confinements, qui ont duré plusieurs mois en 2020 et 2021. L'interdiction de se rassembler a en outre empêché les groupes d'épargne comme celui d’Euphrasie Nyirasafari de se réunir pour discuter de leurs objectifs ou pour mettre en commun leurs contributions. Ces difficultés ont en outre été accentuées par une insécurité alimentaire que la guerre en Ukraine a contribué à aggraver. Les prix des denrées, du carburant et des engrais se sont envolés ces derniers mois et le coût des produits de base comme l'huile de cuisson et le riz a doublé, mettant les agriculteurs en difficulté pour nourrir leurs familles.

Afin de protéger les petits exploitants contre ces chocs, le projet s'est attaché à professionnaliser davantage le secteur agricole. Les formateurs ont facilité l'établissement de liens commerciaux et supervisé la signature de contrats entre coopératives et acheteurs. Ils ont également travaillé en étroite collaboration avec quelque 2 300 responsables de coopératives, favorisant ainsi le développement d’une culture d'autonomie qui permet aux agriculteurs d'accéder au marché haut de gamme, où les prix sont plus élevés, et de tirer parti de leur pouvoir de négociation collectif. Theogene Kwizera, par exemple, dit avoir appris à négocier avec les institutions financières. « Je considère désormais l'agriculture comme une activité commerciale », ajoute-t-il, en pointant le manque d'organisation et la mauvaise gestion de sa coopérative qui, par le passé, ne parvenait pas à garder un président jusqu’au terme de son mandat de trois ans.

Theogene Kwizera en est à son deuxième mandat, une première dans l'histoire de sa coopérative, chose qui, selon lui, aurait été impossible sans la formation. « Les membres me demandent désormais des comptes et, à chaque assemblée générale, je leur explique comment j'ai utilisé notre argent », précise-t-il. « Nous avons constitué des commissions, de sorte que l'on sache clairement qui est responsable de quoi. »


Séraphine Uwitonze, productrice de maïs, lors d’un événement organisé par IFC et le PAM à Kigali pour marquer la clôture du projet. Crédit photo : Simeon Uwiringiyeyesu/IFC

Cet été, alors que le programme touchait à sa fin, les équipes d'IFC, du PAM et du GAFSP se sont réunies à Kigali. Responsables du développement, experts agricoles et décideurs publics ont tiré le bilan des expériences passées et réfléchi à de nouvelles façons de soutenir les petits exploitants agricoles du Rwanda. Seraphine Uwitonze, qui cultive du maïs à Ngoma, dans l'est du pays, a été invitée à l'évènement de clôture et, depuis la tribune, elle a expliqué comment le programme a changé sa vie, ainsi que celle de sa famille et de sa communauté.

Elle fait partie des 900 femmes à avoir bénéficié d’une formation et d’un accompagnement afin de pouvoir présider une coopérative et, comme elle l'a expliqué aux participants ce jour-là, ce projet lui a permis d'acquérir un bagage de compétences agricoles et commerciales. Mais pour l’agricultrice, qui n'aurait jamais imaginé se rendre dans un hôtel de Kigali pour s’exprimer au nom de son village, sans parler de monter sur une estrade et de s'adresser à une salle pleine d'inconnus, l'expérience va beaucoup plus loin. « J'ai appris à avoir confiance en mes idées et à oser entreprendre pour améliorer la condition de ma famille », a déclaré Seraphine Uwitonze. « Je n'avais jamais pensé en être capable et maintenant je sais que je le suis. »

Publié en mars 2023