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Le boom de l’argent mobile à Madagascar

février 15, 2023

Le marché mondial de l’argent mobile pèse 1 000 milliards de dollars, et l’Afrique en détient à elle seule 70 %, faisant figure de pionnière dans le secteur en pleine évolution des services financiers numériques. Madagascar est plus récemment cité parmi les exemples de réussite du continent dans ce domaine. Plus d’un tiers de la population de l’île est désormais en mesure d’effectuer toutes sortes de transactions, depuis le règlement de factures jusqu’aux virements entre particuliers, l’épargne et l’obtention de prêts, par le biais de l’argent mobile, qui devient un important moteur d’inclusion financière.

Olivier Monnier

À Madagascar, Facebook Messenger ne sert pas seulement aux échanges entre amis. Tirant parti de la grande popularité de ce réseau social dans le pays, la Première Agence de Microfinance (PAMF) propose, depuis 2021, un service qui permet aux trois millions d’utilisateurs malgaches de Facebook de solliciter un crédit ou d’ouvrir un compte épargne via l’application.

« Au vu de sa très grande utilisation à Madagascar, Facebook Messenger offre de grandes possibilités d’amélioration de l’accès aux services financiers », explique Santatra Andriamparany, directeur des Services financiers numériques de PAMF Madagascar, qui fait partie de l’Aga Khan Development Network (AKDN).

C’est l’une des initiatives qui se multiplient à Madagascar et visent à promouvoir l’inclusion financière dans un pays où le taux de pauvreté, de l’ordre de 81 %, est l’un des plus élevés du monde. Au fur et à mesure de leur développement, ces solutions favorisent aussi le lancement et le développement d’entreprises, facilitent l’accès à des services de base comme l’électricité et simplifient le recouvrement des impôts.

Depuis leur introduction, qui remonte à une quinzaine d’années, les services d’argent mobile ont, en particulier, révolutionné le secteur des services financiers, et leur emploi est chaque année plus facile, plus rapide et meilleur marché. L’Afrique est en pointe dans le domaine de l’argent mobile, avec 70 % d’un marché mondial qui atteint 1 000 milliards de dollars et près de 185 millions de porte-monnaie électroniques actifs.

Madagascar a amorcé un tournant spectaculaire et le nombre des comptes d’argent mobile (plus de 10 millions) y dépasse désormais celui des comptes bancaires. Rien qu’entre 2016 et 2020, la valeur des transactions effectuées par téléphone portable a plus que doublé, pour atteindre 639 millions de dollars.

« Madagascar est un pays essentiellement rural et agricole où les infrastructures routières sont problématiques. On a trop longtemps considéré que proposer des services financiers à cette population était une entreprise à la fois coûteuse et risquée », indique Matthew Leonard, spécialiste de la microfinance et de la finance numérique à IFC. « Cette vision a changé quand les opérateurs d’argent mobile sont arrivés et ont rapidement engrangé des millions de clients, dont beaucoup n’avaient jamais eu accès à une institution financière officielle. »

Des nano-prêts sans paperasse

L’écosystème malgache de l’argent mobile se diversifie rapidement.

Si les clients sont encore nombreux à passer par les comptes bancaires pour les virements traditionnels entre particuliers, à l’intérieur du cercle familial ou entre amis, l’usage de l’argent mobile se développe pour régler les factures, percevoir son salaire, épargner ou contracter un prêt. Issus de partenariats entre les opérateurs d’argent mobile et les institutions financières, les comptes d’épargne numérique — et plus encore — les « nano-prêts » sont parmi les produits les plus populaires de ces tout nouveaux services.

« Madagascar compte parmi les pays d’Afrique et de l’océan Indien où les produits de crédit numérique, de quelques dollars à plusieurs centaines de dollars, rencontrent le plus grand succès », déclare Mathieu Berthelot, directeur général d’Orange Money Madagascar, l’un des trois fournisseurs de services d’argent mobile du pays.

An Orange Money's proximity cash point in Ankatsakatsa Sud.
Un point de vente Orange Money à Ankatsakatsa Sud. Crédit photo : Orange Money Madagascar

Avec les services d’argent mobile — et c’est un grand avantage, surtout pour les habitants des régions reculées —, les clients peuvent solliciter et obtenir un prêt en quelques secondes à partir d’un simple téléphone portable, sans avoir à remplir le moindre formulaire ni à se rendre dans une banque. Un outil de notation basé sur les dossiers des clients de téléphonie mobile et d’argent mobile permet aux fournisseurs et aux institutions financières d’évaluer la solvabilité des demandeurs et le risque de défaillance.

« La plupart de nos clients sont exclus du système financier traditionnel soit parce qu’ils n’y sont pas éligibles soit parce qu’ils sont peu enclins à y recourir », précise Santatra Andriamparany de la PAMF. « Les solutions d’argent mobile et les services financiers numériques aident à surmonter ces obstacles. »

Une multiplicité d’usages

Les avantages ne se limitent pas aux achats et transferts d’argent.

Baobab+, entreprise sociale des secteurs de l’énergie et du numérique présente dans plusieurs pays d’Afrique, a fait équipe avec des opérateurs de téléphonie mobile malgaches pour proposer des kits solaires individuels. Comme un tiers seulement de la population malgache dispose d’un raccordement à l’électricité, les habitants des zones rurales étant les plus défavorisés dans ce domaine, cette initiative ouvre de grandes possibilités d’accès à l’énergie dans le pays.

Sur la base d’un service prépayé à la demande, Baobab+ donne à ses clients la possibilité d’acquérir l’équipement nécessaire à crédit. Le remboursement s’effectue via le téléphone portable, dans le cadre d’un système souple de versements à faible taux. Depuis 2016, plus de 100 000 ménages ont acquis des kits solaires par ce biais.

Les services numériques de microfinance pourraient aussi s’avérer une aubaine pour les petites entreprises malgaches, en particulier dans le secteur agricole qui emploie 75 % de la population.

Pour répondre à une demande croissante, BNI Madagascar, l’une des principales banques du pays, a lancé en 2019 sa marque de microfinance exclusivement numérique, KRED, qui permet aux micro, petites et moyennes entreprises (MPME) de demander en ligne des prêts d’un montant inférieur ou égal à 1 200 dollars. Au cours des trois dernières années, KRED a accordé plus de 25 000 lignes de crédit à des MPME.

Le gouvernement malgache mise lui aussi sur les services financiers numériques pour moderniser et rationaliser certaines de ses opérations, notamment par la numérisation du versement des salaires des enseignants et des bourses des élèves de zones reculées, ainsi que le recouvrement des impôts des particuliers et des PME. Il envisage aussi le lancement d’une monnaie électronique (l’e-ariary), suivant l’exemple de plusieurs autres pays africains.

A man sells mobile phones in Madagascar.
Un homme vend des téléphones portables à Madagascar. Photo: Shutterstock

Transformer les difficultés en opportunités

Malgré ces avancées, de nombreuses difficultés doivent encore être surmontées par le pays pour améliorer des taux d’inclusion financière qui restent parmi les plus faibles de l’Afrique subsaharienne.

L’une des difficultés est liée à la réglementation. Le pays a accompli une étape importante dans ce domaine en adoptant en 2016 une loi sur la monnaie électronique et les établissements y afférents. Néanmoins, selon le diagnostic du secteur privé dressé en 2021 par la Banque mondiale et IFC pour Madagascar, il faut aller encore plus loin pour créer un environnement véritablement porteur, notamment en ce qui concerne le cadre réglementaire.

L’étude souligne, par exemple, qu’un plus large accès au protocole USSD (système de communication utilisé par les téléphones portables pour les services de type argent mobile), au-delà des opérateurs de téléphonie mobile, permettrait d’abaisser le coût d'entrée sur le marché et les tarifs. Elle explique en outre que l’instauration d’un système national de bascule assurant une complète interopérabilité des comptes bancaires et des porte-monnaie électroniques faciliterait les transactions.

L’étude précise encore que le secteur tirerait un grand avantage du renforcement des infrastructures de partage des données relatives au crédit. Le rapport indique aussi que si Madagascar a déjà amélioré l’accès à l’information par le lancement en 2020, avec le concours d’IFC, d’un registre public du crédit et d’une nouvelle centrale des risques privée, le pays pourrait encore se doter d’outils pour améliorer l’identification des clients et l’instauration d’un environnement plus transparent et plus concurrentiel.

Enfin, pour exploiter pleinement les possibilités dans ce domaine, l’étude souligne la nécessité de développer l’accès à l’électricité, de renforcer la connectivité internet et mobile, et de promouvoir une meilleure éducation financière et numérique. En 2020, 54 % de la population malgache n’était pas encore connectée à un réseau mobile, ce qui faisait de Madagascar le pays affichant le plus faible taux de pénétration de la téléphonie mobile au monde.

Si les problèmes sont bien réels, chez Orange, Mathieu Berthelot préfère considérer le bon côté des choses, et y voir des opportunités d’investissement.

« L’argent mobile est déjà devenu un outil essentiel d’inclusion financière à Madagascar et cela a changé la donne pour de nombreuses personnes », déclare-t-il. « Mais il reste encore beaucoup à faire et je suis convaincu que le gros de la croissance est encore à venir ! »

Publié en février 2022