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L’Afrique vue de Singapour : « Un continent d’opportunités »

septembre 13, 2022

Par Alec Macfarlane

Il n’est pas forcément facile de décider où investir en Afrique, mais le jeu en vaut certainement la chandelle pour ceux qui sont désireux de tenter l’expérience, si l’on en croit G. Jayakrishnan, responsable des activités pour l’Asie du Sud, le Moyen-Orient et l’Afrique chez Enterprise Singapore. Parmi les secteurs porteurs pour les investissements, il cite les infrastructures, l’éducation, l’économie numérique, l’industrie manufacturière, l’agriculture et la transformation alimentaire. M. Jayakrishnan dirige une agence gouvernementale qui aide les entreprises à se développer à l’international. Il expose les principaux problèmes rencontrés par les sociétés singapouriennes quand elles investissent en Afrique et donne quelques conseils à ceux qui envisagent d’entrer sur ce marché de plus d’un milliard de consommateurs.

Q : Pouvez-vous nous présenter Enterprise Singapore et vos activités en Afrique ?

R : Nous sommes une agence de développement des entreprises singapouriennes. Nous aidons les sociétés à étoffer leurs capacités, à améliorer leur productivité, à obtenir des prêts garantis par le gouvernement. Nous les aidons aussi à s’ouvrir à l’international et à étendre leur présence au-delà de Singapour. Nous avons 36 bureaux dans le monde, dont trois en Afrique. En 2013, nous avons ouvert une antenne à Johannesburg et à Accra, et une autre à Nairobi en 2018, soit trois centres d’activité en l’espace de cinq ans. Je crois que cela atteste de nos intentions et du formidable potentiel que nous voyons en Afrique.

Q : Pourquoi les liens avec l’Afrique sont-ils importants pour Singapour ?

R : L’Afrique est un marché qu’aucune entreprise ne peut, ni ne doit négliger. Son dividende démographique, la richesse de ses ressources naturelles et le grand dynamisme de son secteur privé sont autant de facteurs d’attractivité. Il y a ensuite tous les besoins de développement : dans les infrastructures, l’éducation, la consommation. Singapour a un marché national limité et doit donc impérativement se diversifier. C’est une nécessité qui a récemment été mise en lumière par les chocs et perturbations des chaînes d’approvisionnement.

Q : Quels sont les principaux secteurs qui intéressent Enterprise Singapore en Afrique ?

R : Il y a des occasions à saisir dans tous les secteurs en Afrique. S’il fallait n’en retenir que quelques-uns, je citerais d’abord le domaine des applications numériques qui a un immense potentiel. Avant la pandémie de COVID-19, les applications numériques bouleversaient déjà les entreprises et de provoquaient des transformations sociales dans toute l’Afrique. La numérisation permet de lutter contre les inefficacités, de grossir les rangs des consommateurs et de faciliter grandement le commerce. Tout cela est porteur, qu’il s’agisse de technologies financières, de cybersécurité ou de prestations de services dans l’éducation et la santé. Les possibilités de numérisation dans les secteurs du transport et de la logistique sont également énormes, compte tenu des grandes distances à couvrir en Afrique, où le suivi et la gestion des stocks sont essentiels. Comme beaucoup d’Africains passent les frontières nationales pour aller travailler dans un autre pays d’Afrique, les applications numériques qui permettent des envois de fonds rapides et bon marché ont aussi du potentiel.

L’industrie manufacturière est un autre domaine important, dans lequel l’accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine va jouer un rôle déterminant. Pour le moment, seulement 17 % des exportations africaines sont intracontinentales. Il y a un gros potentiel de ce côté au vu des niveaux du commerce intracontinental en Asie (59 %) et en Europe (68 %). Compte tenu de l’augmentation des revenus discrétionnaires et de la perturbation des chaînes d’approvisionnement, il est tout à fait naturel que les entreprises commencent à investir dans des capacités de fabrication en Afrique pour fournir le marché africain qui compte plus d’un milliard de consommateurs.

Enfin, l’agriculture et la transformation des aliments. L’Afrique dispose de 60 % des terres cultivables à l’échelle mondiale et il y aura aussi de formidables possibilités de croissance de ce côté-là, notamment en ce qui concerne l’agriculture durable. Nous souhaitons y prendre part.

Q : Pouvez-vous nous parler des difficultés que les sociétés singapouriennes rencontrent lorsqu’elles cherchent à se développer en Afrique ?

R : Il est souvent difficile de décider par où commencer. La région est grande et variée, avec des pays à différents stades de développement. Il y a un risque d’éparpillement, et cela peut être pesant. En plus, les gros titres des journaux sont souvent négatifs et les macro-indicateurs rarement encourageants. Il est vraiment important de surmonter ça et de passer du temps sur place, où les entrepreneurs peuvent juger par eux-mêmes.

Il y a aussi des coûts cachés, en lien avec les contraintes réglementaires, le changement imprévisible des règles, les risques de dévaluation ou les problèmes de logistique. Tout cela peut coûter cher. Il faut donc que les entreprises tiennent compte de ces coûts dès le départ et s’assurent que leurs marges sont suffisantes pour y faire face. C’est une des raisons pour lesquelles il est nécessaire de faire des vérifications préalables et de bien comprendre le marché.

Q : Quel type de financement apportez-vous aux sociétés singapouriennes qui se développent en Afrique ?

R : Nous travaillons en étroite collaboration avec des institutions financières à Singapour pour faciliter l’accès des entreprises locales à des financements au fil des différentes étapes de leur croissance et de leur développement à l’international. Dans le cadre de notre programme de financement des entreprises, les institutions financières qui travaillent avec nous leur proposent des prêts agréés et nous partageons le risque de défaillance en cas d’insolvabilité. Le programme concerne tout un éventail de prêts, pour financer des fonds de roulement, des immobilisations, des échanges commerciaux, des projets ou des fusions/acquisitions. Il offre donc un appui financier complet au bénéfice des entreprises singapouriennes désireuses de s’étendre à l’étranger, notamment en Afrique.

Q : Comment faites-vous pour vous assurer que les projets que vous soutenez en Afrique apportent un bénéfice mutuel ?

R: Nous avons un processus de participation aux projets qui repose sur la recherche d’une forte adéquation entre l’offre et la demande. Nous travaillons avec un partenaire africain du secteur privé ou avec le gouvernement pour définir une problématique. Une fois que le problème est cerné, nous pouvons facilement identifier des entreprises, des entités parapubliques et des agences publiques à Singapour, et voir quelles solutions nous pouvons proposer. Tout le monde doit y trouver son compte. Si nous sommes en mesure d’établir des bénéfices mutuels dès le départ, l’affaire est bien partie.

Au Ghana, par exemple, il y avait un besoin de fabrication de vaccins et de fournitures médicales au tout début de la pandémie de COVID-19. L’une des entreprises ghanéennes avec lesquelles nous travaillons avait besoin d’une expertise pour mettre en place une unité de fabrication de seringues et d’administration de médicaments. Nous avons trouvé une société singapourienne en mesure de fournir les ressources nécessaires et d’établir un partenariat avec l’entreprise ghanéenne pour monter une usine.

Q : Quelles ont été les conséquences de la COVID-19, des événements climatiques et de la guerre en Ukraine sur vos activités ?

R : Ces crises ont surtout servi à nous rappeler combien la diversification des relations d’affaires est importante pour les entreprises singapouriennes compte tenu des limites de notre marché intérieur.

Q : Quels sont les conseils que vous donneriez à des entreprises singapouriennes désireuses de se développer en Afrique ?

R: Commencez par faire une étude, informez-vous auprès d’autres entreprises déjà installées sur ce marché, considérez un marché à la fois. Rendez-vous sur place sans vous laisser impressionner par les titres des journaux. Prévoyez des coûts cachés, tenez-vous prêts à rectifier la trajectoire et engagez-vous sur le long terme.

Q : Quel message souhaitez-vous transmettre aux sociétés africaines désireuses de se développer en Asie ?

R: Les sociétés africaines sont aussi conscientes des possibilités qu’offre l’Asie. Elles s’installent à Singapour et utilisent cette base pour étendre leur stratégie ailleurs en Asie. C’est pour elles une occasion fantastique de participer à la croissance asiatique, et c’est aussi fantastique pour Singapour dont elles enrichissent et diversifient l’écosystème commercial. Nous sommes très contents de les accueillir et nous espérons qu’il y en aura d’autres.

Singapour dispose d’un large éventail d’accords de libre-échange et de traités d’investissement. Nous avons aussi un écosystème très complet d’institutions financières, des sociétés proposant tous les services professionnels nécessaires et des partenaires du milieu des affaires ayant établi de bons réseaux en Asie : autant d’avantages dont les sociétés africaines peuvent tirer parti.

L’entretien a été condensé par souci de clarté et de longueur.

Publié en septembre 2022