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Institutions de financement du développement : des partenariats pour agir autrement

juin 23, 2020
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David Lawrence et Egidio Germanetti

PARIS – Lors d'une réunion l'an dernier à Oxford, en Angleterre, un groupe de dirigeants d'institutions de financement du développement (IFD) s'est penché sur un sujet qui freine le développement du secteur privé depuis des décennies : comment trouver davantage de projets viables pour attirer des investissements privés dans les pays les plus pauvres, et en particulier les plus fragiles ?

Les membres de ce groupe avaient déjà travaillé ensemble auparavant, notamment sur les opportunités de syndication, mais ils étaient souvent concurrents quand il s'agissait de financer de projets. Ils ont donc décidé d’être force de proposition et ont lancé un programme de partenariat dans le cadre duquel ils ont convenu de collaborer pour mettre sur pied davantage de projets qui produiront un impact plus important. Les sept pays pilotes sélectionnés sont l'Éthiopie, Haïti, le Liban, Madagascar, le Népal, la République démocratique du Congo (RDC), et la Sierra Leone.

Aujourd'hui, à la suite de missions d'étude conjointes de plusieurs institutions dans ces pays, les équipes travaillent sur les moyens d'aller de l'avant, notamment en définissant des normes et des principes de fonctionnement communs, en partageant des informations et en tirant parti des domaines d'expertise des différentes IFD.

« Le fait de travailler sur des projets pilotes dans des pays fragiles incite aussi d'autres IFD à collaborer, cela permet de mieux se connaître et de montrer que nous poursuivons tous le même but », souligne Sébastien Fleury, directeur chez Proparco. « Dans ces pays, nous devons unir nos forces plutôt que rivaliser pour réaliser des transactions. »

Sébastien Fleury
Sébastien Fleury. Avec l’aimable autorisation de Proparco

Certaines des premières initiatives associent IFC et Proparco, la filiale de l'Agence française de développement (AFD) dédiée au secteur privé, et concernent le secteur de l'électricité en RDC.

L’institution britannique CDC Group a pris la tête d'une initiative pilote en Éthiopie. Le SIFEM (Swiss Investment Fund for Emerging Markets) est en charge du Nepal, la Banque africaine de développement de Madagascar, et l’Africa Finance Corporation de la Sierra Leone.

« Le principal problème du financement de projets dans les pays en développement n'est pas le manque d'investisseurs ou de fonds disponibles, mais le manque de projets », explique Colin Buckley, directeur juridique et responsable des relations extérieures de CDC Group. « Par le passé, nous avons tous réalisé des investissements et agi dans un esprit commercial, en comptant souvent sur les autres pour préparer des projets “bancables”. Mais aujourd'hui, nous considérons de plus en plus les partenariats comme un moyen d'être créatif, de monter des projets et de trouver de nouvelles façons de s'attaquer à des problèmes de développement qui ne datent pas d'hier. »

Par ailleurs, le souci d'une plus grande efficacité et d'un impact plus fort sur le développement fait actuellement émerger de nouveaux modes de collaboration, renforcés par le besoin croissant de créer une réserve de nouveaux projets pour le secteur privé dans les pays fragiles et à faible revenu. Dans le contexte de la crise du coronavirus, il apparaît indispensable aux yeux des dirigeants des IFD que leurs organisations se coordonnent pour aider les pays à faire face aux urgences sanitaires et économiques.

Selon Ousseynou Nakoulima, directeur régional d'IFC pour l'Europe de l'Ouest, les actionnaires et les clients des IFD poussent à une collaboration plus étroite.

« Nos actionnaires attendent beaucoup des institutions de développement », dit-il. « Ils en veulent plus pour leur argent, qu'il ait plus d'impact. Et l'une des façons d'y parvenir est de faire en sorte que les IFD travaillent ensemble et créent davantage de synergies. Nos clients souhaitent, quant à eux, que les IFD unissent leurs forces pour réduire les coûts de transaction, en ce qui concerne notamment les études de faisabilité, les règles de diligence raisonnable ou encore l’établissement des rapports. »

3.	Travailler ensemble permettra aux IFD de prioriser les solutions du secteur privé aux défis de développement dans des pays comme Haïti.
Travailler ensemble permettra aux IFD de prioriser les solutions du secteur privé aux défis de développement dans des pays comme Haïti. © Dominic Chavez / Banque mondiale (2012) 

Renforcer les stratégies en amont

Ousseynou Nakoulima, à l'instar de ses pairs de Proparco et de CDC, souligne que les possibilités d'investissement solides dans les pays fragiles et à faible revenu sont limitées. La stratégie d'IFC sur ces marchés, partagée par de nombreuses IFD, consiste à mettre davantage l'accent sur la création de conditions propices aux investissements. Ce travail « en amont » implique une démarche préalable à l'investissement : préparation d’un vivier de projets, amélioration de l'environnement législatif et réglementaire et renforcement des capacités là où elles font défaut afin de concevoir des projets finançables et cohérents avec les priorités de développement d'un pays.

Le travail en amont est coûteux et la collaboration des IFD vise à en répartir la charge.

Bien que les sept projets pilotes n'aient pas avancé au même rythme — pour partie à cause de la pandémie de COVID-19 —, les bases de cette collaboration se mettent en place progressivement. Dans les pays pilotes, ce sont les IFD connaissant le mieux la situation locale ou sectorielle qui sont à la manœuvre. Il en résulte une communauté de pratique où, sous la direction d'une IFD, les institutions partagent leurs diagnostics, s'accordent sur la démarche à adopter dans un pays ou un secteur donné et élaborent une stratégie pour attirer les investissements.

Le programme de partenariat est complété par des « accords-cadres de collaboration conjointe » (ou JCFA selon l'acronyme anglais), destinés à faciliter de manière plus générale la coordination entre IFC et les IFD pour créer des marchés, mobiliser les investissements privés, puis cofinancer des projets reposant sur des normes communes, en particulier lors de l'utilisation de financements mixtes.. Ces accords-cadres sont d’autant plus importants pour soutenir la reprise économique dans les pays en développement après la pandémie de COVID-19. Proparco et DEG, l'institution allemande de financement du développement, sont les premiers signataires de tels accords.

« Ce type d'accords permettra de codifier des principes communs et des modes d'action conjoints au-delà d’un seul pays », précise Simon Andrews, responsable principal Partenariats et engagement multilatéral d'IFC. « Dans les environnements fragiles et les pays à faible revenu, il faut plus qu’ailleurs consacrer beaucoup d'efforts et de travail en amont pour concevoir des projets viables et finançables. Les JCFA fournissent un cadre pour coordonner la stratégie en amont et pour mobiliser d’autres acteurs en vue de promouvoir et développer des solutions portées par le secteur privé. »


En Haïti, un pilote des IFD, seulement 45% des personnes peuvent accéder à l'électricité. © Dominic Chavez / Banque mondiale (2012)

Les partenariats en action

IFC et Proparco, l’IFD française en charge du secteur privé, ont une longue tradition de collaboration. En décembre 2018, le portefeuille de projets en cours de Proparco s'élevait à 5 milliards d'euros, dont près de 200 millions de dollars engagés dans des projets communs, principalement en Afrique.

En RDC, IFC et Proparco ont mené une mission conjointe en décembre dernier et ont convenu de travailler sur le secteur de l'énergie.

Pour sa part, CDC Group, l’institution de financement du développement du Royaume-Uni, gère un portefeuille d'une valeur totale de 5,8 milliards de livres sterling. Cette année, l'institution britannique investira plus de 1,5 milliard de dollars sur la valeur totale de son portefeuille dans des entreprises d'Afrique et d'Asie, en privilégiant la lutte contre le changement climatique, l'autonomisation des femmes et la création de nouveaux emplois et de nouvelles opportunités pour des millions de personnes.

Premier investisseur à impact du Royaume-Uni, CDC propose toute une gamme de financements pour répondre aux besoins des entreprises : fonds propres, emprunts, financements mezzanines et garanties. Il peut investir dans tous les secteurs, mais donne la priorité à ceux qui contribuent au développement, tels que les infrastructures, les institutions financières, l'industrie manufacturière et la construction.

Dans le cadre du programme de partenariat des IFD, les participants se sont mis d'accord sur un certain nombre de principes, notamment l'exploitation de publications comme par exemple les études de diagnostic du secteur privé par pays du Groupe de la Banque mondiale, de manière à cerner les problèmes qui freinent les investissements dans les secteurs clés d'un pays donné. Ils s'engagent également à privilégier les solutions faisant appel au secteur privé pour la résolution des problèmes de développement et à fixer un cadre pour l'utilisation de financements concessionnels et mixtes et pour l'harmonisation des normes environnementales et sociales.

Il s’agit ainsi, selon Simon Andrews, d’optimiser l'utilisation des ressources, d’éviter les doublons et de permettre aux IFD de s'appuyer sur leurs expériences et connaissances mutuelles. Ce sont les IFD les mieux placées pour résoudre tel ou tel problème spécifique qui prennent la direction des activités, qu’il s’agisse de remédier aux obstacles réglementaires, renforcer les institutions, créer des compétences au niveau des entreprises ou encore déterminer les besoins d'investissement.

« Nous essayons de passer progressivement d'une démarche axée sur les transactions à une approche qui privilégie la création d’un environnement porteur grâce à un travail en amont », précise Sébastien Fleury. « Proparco et IFC s'efforcent toutes deux de produire un impact en Afrique et dans les pays fragiles, et c'est vraiment important. Nous avons des objectifs communs et cela devrait nous amener à collaborer davantage à l'avenir. Nous devons travailler ensemble avec le souci de la complémentarité. »

Publié en juin 2020