Les start-up africaines qui utilisent des technologies de rupture réussissent mieux que les autres

En bref
L'écosystème des start-up numériques africaines est en plein essor, avec l'une des croissances les plus rapides au monde. Les jeunes pousses africaines qui adoptent des technologies de rupture réussissent généralement mieux que les autres et obtiennent davantage de financements. Pourtant, une nouvelle étude réalisée par la Société financière internationale (IFC) montre que cela se vérifie moins sur le continent qu'ailleurs, de nombreuses start-up africaines ouvertes aux technologies de rupture rencontrant des difficultés à se procurer des fonds.
L'Afrique devient un marché attrayant pour les start-up numériques (une start-up se définissant comme une entreprise fondée il y a moins de dix ans). Mais, si les jeunes pousses africaines voient depuis quelques années leurs financements augmenter fortement, nombre d'opportunités demeurent inexploitées. Avec davantage de financements, ces structures pourraient créer des plateformes et modèles d'entreprise qui intègrent des technologies de rupture, avec à la clé des solutions abordables et bien conçues synonymes de nouveaux marchés.
Axée sur les secteurs de la fintech, du commerce électronique et des technologies de l'information, cette étude aborde trois questions essentielles.
- En quoi les start-up africaines se distinguent-elles de celles de la région Amérique latine et Caraïbes, ainsi que des villes pionnières de la « tech » que sont Londres, Palo Alto, Seattle et Tokyo ?
- Selon leur ancienneté, les entreprises africaines adoptent-elles plus ou moins les technologies de rupture ?
- L'obtention de financements extérieurs est-elle en lien avec l'adoption de technologies de rupture par les entreprises ?
Les technologies de rupture favorisent la création de nouveaux marchés et permettent, à terme, de prendre le pas sur les entreprises dominantes d'un secteur. Bien qu'on les assimile souvent à des technologies de pointe, les deux ne sont pas synonymes. Par exemple, une technologie de pointe qui ne transforme pas d'une façon ou d'une autre un marché entier, parce qu'elle est trop spécialisée pour cela, ne peut se qualifier de technologie de rupture. De plus, une technologie de rupture n'est pas nécessairement nouvelle. En effet, elle peut avoir été développée bien avant que les entreprises l'utilisent d'une manière propre à modifier radicalement le marché. Citons l'exemple de Ford commercialisant en masse sa Model T dans les années 1920, soit des dizaines d'années après l'invention de l'automobile. Ou celui de la téléphonie mobile, en diffusion rapide et universelle depuis les années 2000, alors que là encore, les premiers téléphones portables étaient apparus plusieurs décennies auparavant.
Les start-up africaines sont moins susceptibles d'adopter des technologies de rupture (hormis les paiements mobiles) dans une proportion de 36 % par rapport aux villes pionnières, cet écart étant de 32 % pour les entreprises d'Amérique latine. Cependant, si les start-up latino-américaines, considérées sur leur cycle de vie total, se lancent davantage que les africaines dans les technologies de rupture, cette différence s'amoindrit pour les plus anciennes d'entre elles.
Concernant le rapport entre l'adoption de technologies et l'obtention de financements extérieurs, on constate que les sociétés africaines enclines aux technologies de rupture ont plus de chances (3 points de pourcentage) de bénéficier de capitaux-risques ou d’investissements en fonds propres que celles qui n'en adoptent pas. Cet avantage, désigné dans le document de travail sous le nom de « prime aux technologies de rupture » (disruptiveness premium), est plus important en Amérique latine et dans les villes pionnières (7 et 16 points de pourcentage respectivement). Son montant diffère aussi d'une région à l'autre. En Afrique, les start-up qui adoptent des technologies de rupture reçoivent 40 % de financements en plus que celles qui n'en adoptent pas, contre 99 % en Amérique latine et 259 % dans les villes pionnières.
Autre observation : l'adhésion aux technologies de rupture semble se traduire en bénéfices pour les entreprises. Ainsi, les probabilités de réussite sont plus élevées (de 4,5 points de pourcentage) pour les sociétés africaines qui adoptent des technologies de rupture que pour les autres. En outre, selon leur évaluation sur le marché, leur croissance moyenne considérée sur le cycle de vie est plus importante (46 %).
Dans le cadre de l'étude, il a été sélectionné 29 technologies de rupture, à l'aide de données issues de brevets américains récemment délivrés et des présentations de leurs résultats par les entreprises. Les brevets sont un bon indicateur de l'utilisation des technologies de pointe. Quant aux informations communiquées lors des conférences sur les résultats, elles donnent une idée du potentiel de progression sur le marché. Les données utilisées, portant sur 32 530 entreprises numériques, soit 7 785 en Afrique, 12 816 en Amérique latine et 11 929 dans les villes pionnières, sont issues des bases Crunchbase et Pitchbook.
Cette étude s'intègre dans un projet plus vaste mené par IFC. Ces recherches, dont les résultats seront publiés au printemps, examinent l'avancée de la numérisation des entreprises africaines dans différents domaines : infrastructures, taux d'accès à internet, accessibilité financière pour l'usager, taux d'adoption par les entreprises, fréquence et objectif de l'utilisation, fourniture de technologies numériques, financement et recommandations en matière de politiques publiques.
Auteurs
Marcio Cruz est économiste principal au département de recherche économique et commerciale d'IFC. Ses travaux portent sur la dynamique de l'entreprise, l'adoption des technologies, l'entrepreneuriat et le commerce international. Précedemment au sein du Groupe de la Banque mondiale, il a été en poste à la Pratique mondiale de la Finance, Compétitivité et Innovation. Il a également occupé des fonctions universitaires et de politique publique au Brésil. Il est titulaire d’un doctorat en économie internationale de l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève.
Mariana Pereira-Lopez est économiste senior au département de recherche économique et commerciale d'IFC. Ses domaines de recherche sont la productivité de l'entreprise, les pratiques de gestion, les technologies, l'innovation, l'entrepreneuriat, les études d'impact, la concurrence et l’efficacité énergétique. Titulaire d'un doctorat en économie du Colegio de Mexico, elle a plus de 14 ans d'expérience acquise au sein de l'administration mexicaine, dans des institutions universitaires et à la Banque mondiale.
Edgar Salgado est économiste au département de recherche économique et commerciale d'IFC. Il consacre ses recherches aux rapports entre les distorsions du marché et l'adoption des technologies, la dynamique de l'entreprise, l'entrepreneuriat et les transformations structurelles. Avant d'entrer chez IFC, il a travaillé à la Banque interaméricaine de développement (2018-2022) et à l'université du Sussex (2016-2028). Il possède un doctorat en économie de l’université du Sussex.